Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire contemporain, 1908.djvu/194

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y a création, et le mot poésie a ici son sens[1]. » Si les divers aspects de la nature modifient notre être de telle ou telle façon, il est évident que tel ou tel état d’âme signifiera tel ou tel aspect de la nature. Le parnassien a terminé son oeuvre quand il a consigné tous les traits caractéristiques de l’ « objet » ; il copie cet objet, il fait une description, c’est-à-dire un procès-verbal. Mais le symboliste n’exprime pas les choses directement ; il les suggère, en s’exprimant lui-même. « Ne garder de rien que la suggestion[2], » voilà le principe de son esthétique. « Abolie, la prétention d’inclure au papier subtil du volume autre chose que, par exemple, l’horreur de la forêt ; non le bois intrinsèque et dense des arbres[3] » « Nommer un objet, c’est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème, qui est faite du bonheur de deviner peu à peu ; le suggérer, voilà le rêve[4]. » La différence essentielle entre la poésie parnassienne et la poésie symboliste, c’est que l’une s’attache à reproduire tel quel le monde physique, considéré comme un ensemble de décors, et l’autre à en rendre les affinités latentes avec notre « moi ».

Chez les parnassiens, la poésie tenait surtout des arts plastiques ; avec le symbolisme, elle devient musicale. Entre tous les arts, la musique exprime le mieux ce qu’il y a de plus vague et en même

  1. Mallarmé, Enquête sur l’évolution littéraire, par J. Huret, p. 62.
  2. Id., Divagation première relativement au vers.
  3. Id.,ibid.
  4. Id., Enquête sur l’évolution littéraire, p. 60