Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire contemporain, 1908.djvu/239

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feste à briser la cadence ; et bientôt il n’écrira guère plus qu’en vers libres. D’ailleurs, la forme même de son imagination et l’allure de son esprit ont quelque chose d’étranger, qui, pour nous, est quelque chose d’étrange. Non seulement il abonde en impropriétés, en tournures baroques, en néologismes saugrenus, en rythmes instables et discordants, mais encore ses brusqueries, ses incohérences, ses divagations nous le rendent souvent pénible ou obscur.

M. Vielé-Griffin n’en est pas moins un vrai poète. Il a renouvelé les thèmes éternels de la nature, de l’amour, de la mort, en les appropriant à son génie méditatif et inquiet. Il a quelquefois retrouvé la poésie populaire, non par des artifices et des pastiches, comme certains, mais par une communion intime avec l’âme primitive du peuple. Il a écrit de beaux symboles, la Chevauchée d’Yeldis, Phocas le jardinier, la Légende ailée de Wieland le forgeron, où les plus grandes idées philosophiques et morales prennent une forme vivante, tantôt dramatique et tantôt épique ou lyrique. Ne lui demandons pas cet ordre et cette suite dont ne s’accommode guère la poésie symboliste ; et que ce qu’il y a souvent chez lui de discontinu, de heurté, de bizarre, ne nous rende point insensibles, soit à l’élévation de sa pensée, soit à la riche variété de sa facture. Entre les symbolistes, il est un de ceux qui font le meilleur usage de la nouvelle prosodie : son rythme souple, ondoyant, se diversifie sans cesse et traduit par de délicates inflexions les nuances de la sensibilité. Notre jeune école a sans doute des artistes plus sûrs,