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MORALE

niera. Mais, quand il la soutient, c’est uniquement parce qu’il la juge utile.

Ainsi la seule croyance de Voltaire au point de vue métaphysique est sa croyance en un Dieu organisateur du monde. Frédéric ayant critiqué les idées de la Religion naturelle, il lui répondit : « Vos réflexions valent bien mieux que mon ouvrage… Vous m’épouvantez ; j’ai bien peur pour le genre humain et pour moi que vous n’ayez tristement raison » (1752 ; LVI, 157). Dans la même lettre, il reconnaît tout le premier la faiblesse de ses arguments. Mais, dit-il, son poème a pour véritable objet la tolérance. Quant à la religion naturelle, elle en est seulement le prétexte ; et, ne la défendant plus que par des considérations sociales, il supplie Frédéric de l’aider à se tromper. Ainsi cette religion, qu’il recommande au point de vue du bien public, lui-même, pour son compte n’y croit pas : il n’en retient du moins que la croyance en une Cause suprême, en un Démiurge sans lequel ne saurait s’expliquer le monde.

Dans la lettre à Helvétius précédemment citée, Voltaire dit, après avoir exposé ses raisons en faveur un libre arbitre : « Je commence, mon cher ami, à faire plus de cas du bonheur de la vie que d’une vérité, et si malheureusement le fatalisme était vrai, je ne voudrais pas d’une vérité si cruelle » (11 sept. 1738). Qu’il s’agisse du libre arbitre, de l’âme, ou de Dieu rémunérateur et vengeur, Voltaire se préoccupe beaucoup moins de ce qui est vrai que de ce qui est socialement utile ; il met l’utilité au-dessus de la vérité.

C’est là sans doute une théorie condamnable. Juger telle ou telle doctrine spéculative par ses résultats dans le domaine des mœurs, la répudier sous prétexte qu’elle porte atteinte aux principes sociaux, rien de