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Page:Pelloutier - Histoire des bourses du travail, 1902.djvu/38

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préface

à déterminer avec précision : formuler des constitutions était le but de toutes les recherches des grands penseurs.

Je n’insiste pas sur ce qu’avait d’utopique la conception politique de nos pères, qui croyaient changer le cours de l’histoire avec des feuilles de papier[1] ; il est certain qu’on s’aperçut bientôt que tout cela ne conduisait pas à grand’chose ; le grand succès du fouriérisme tient sans doute à ce qu’il semblait apporter la solution du problème posé tout d’abord sous une forme trop abstraite par les fabricants de constitutions. Pour bien comprendre la valeur de cette utopie et les causes de sa grande popularité, il faut se reporter à l’histoire militaire de la Révolution. Le gouvernement de 1793 avait tout mis en œuvre pour détruire l’armée royale et très peu fait pour organiser la nouvelle armée ; cependant des bandes indisciplinées avaient spontanément engendré le plus formidable engin de guerre que le monde eût jamais connu. Puisque les abstractions des profonds fabricants de constitutions n’avaient pu réussir à construire la Cité politique conforme aux principes de la raison, pourquoi ne pas chercher à organiser une Cité sentimentale en se servant de l’expérience acquise ? Pourquoi ne pas tirer parti de l’enthousiasme qui avait tant de fois assuré la victoire aux bandes révolutionnaires ? Pourquoi, si le métier militaire, jadis si rebutant, était devenu aimable, le travail ne pourrait-il pas devenir attrayant ? Pourquoi ne verrait-on pas se révéler dans les ateliers des chefs de génie, analogues aux maréchaux de France qui avaient eu besoin de la Révolution pour sortir de l’obscurité ? Pourquoi se méfier des combinaisons naturelles des passions, alors que de pareilles combinaisons avaient donné à l’armée française une supériorité

  1. Proudhon comparait la masse de nos lois modernes à une formation géologique, qu’il appelle la formation papyracée (Idée générale de la révolution au xixe siècle, p. 137).