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LIVRE VI, § XLII.

connaissance et avec pleine docilité ; les autres, dans une ignorance absolue[1]. C’est ainsi que, même en dormant, comme le disait, je crois, Héraclite[2], on travaille et l’on coopère à ce qui se passe dans le monde. Chacun y concourt dans une sphère différente ; et par surcroît, celui-là même y concourt qui critique le plus amèrement les choses, et qui essaye de remonter le courant et d’anéantir la réalité. C’est que le monde avait besoin de cette résistance même. Comprends donc enfin dans quels rangs tu veux te placer ; car Celui qui ordonne toutes choses se servira toujours de toi admirablement bien, et il t’accueillera dans le nombre de ceux qui travaillent à son œuvre et qui le secondent. Seulement, toi, ne va pas te faire une partie de l’ensemble analogue à ce vers

    choses n’a aucun sens, il est clair que chaque objet, chaque être, chaque homme surtout y a sa place et y joue son rôle. Avoir cette idée de notre destin ici-bas, ce n’est pas le surfaire ; c’est simplement en montrer la grandeur.

  1. Les autres, dans une ignorance absolue. C’est la presque unanimité des hommes ; mais, à défaut de la philosophie, ils ont les religions, qui leur expliquent suffisamment, quelles qu’elles soient, d’où ils viennent et où ils vont.
  2. Comme le disait, je crois, Héraclite. Cette pensée ne se retrouve pas précisément dans les fragments qui nous restent d’Héraclite ; mais on peut en trouver cependant quelques traces. Voir les Fragments d’Héraclite, de M. Müllach, 19, 37, 46, etc., édit. Firmin Didot, pp. 317 et suiv. Héraclite est un des premiers qui aient reconnu et proclamé