Aller au contenu

Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Couat.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
90
BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

la nature humaine ne les promet[1] point et ne s’achève point en elles. La fin de l’homme n’est point dans ces choses, non plus que l’objet dernier de cette fin, le bien. D’ailleurs, si quelques-unes d’entre elles appartenaient à l’homme, il ne nous appartiendrait pas de les mépriser et de nous tenir en garde contre elles ; il n’y aurait pas lieu de louer celui qui sait s’en passer ; enfin, si elles étaient des biens, celui qui cherche à se priver de leur possession ne serait pas un homme de bien. Au contraire, nous disons que plus un homme se dépouille de ces choses ou d’autres choses semblables, ou même plus il supporte facilement d’en être dépouillé, plus il est un homme de bien[2].

16

Telles sont tes représentations ordinaires, telle sera ta pensée même[3] ; notre âme est tout imprégnée de nos représentations sensibles[4]. Plonge-la donc sans cesse dans des idées comme celles-ci : là où l’on peut vivre, on peut bien vivre ; on peut vivre à la cour, donc on peut bien vivre à la cour. Et encore : chaque être se porte vers ce pour quoi il a été constitué[5] ; sa fin est dans ce vers quoi il se porte ; là

  1. [Couat : « revendique. » ]
  2. [Dans la dernière phrase, nous sommes obligés d’écrire ἀφαιροὐμενος, comme Gataker et M. Stich. Au lieu de corriger ὰνέχηται, qui fait solécisme, en ὰνέχεται, j’aimerais mieux rétablir le mot ἄν devant lui.]
  3. [Couat : « tes pensées ordinaires, tel sera ton esprit. » — Dans le lexique qu’il s’était constitué en vue d’une revision de son œuvre, M. Couat traduit διάνοια par « pensée discursive ».]
  4. [Couat : « de nos pensées. »]
  5. [Couat : « fait. » — Le mot κατασκευὴ, ou son synonyme σύστασις (en latin : constitutio) exprime l’idée d’un assemblage et d’un plan (supra IV, 5, en note). La moindre chose est « constituée » (supra V, 13) d’une matière inerte et d’un principe efficient et formel qui la détermine. La « constitution » de l’homme était définie dans l’École (ad Lucilium, CXXI) : principale animi quodam modo se habens erga corpus, — ce qu’on peut librement traduire (d’autant plus librement que Sénèque lui-même trouve cette définition embarrassée et obscure) par « un corps subordonné à une raison ». Sénèque ne manque pas d’ajouter que la constitution varie d’un âge à l’autre et évolue, bien que nous restions le même homme depuis l’enfance : ego tamen idem sum, qui et infans fui, et puer, et adolescens. C’est à peine si la définition et cette remarque complétée par cette restriction permettent de distinguer dans un être sa « constitution » de sa « nature ». En fait, Marc-Aurèle emploie les deux mots comme à peu près synonymes (III, 9 ; VI, 44 : voir la note).

    Le manuscrit qui a servi à l’édition de Xylander portait à la suite des mots οὖπερ ἔνεκεν ἔκαστον κατεσκεύασται les mots πρὸς ὄδε κατασκεύασται (sic), qui manquent dans le Vaticanus 1950, et qu’on peut sans témérité considérer comme une glose.]