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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

catégorie des choses indifférentes, tout autant que le soleil, le vent ou une bête sauvage. Ces objets seraient de nature à entraver notre action ; mais la tendance[1] et la disposition intérieure[2] ne sont empêchées par aucun obstacle, parce que nous faisons nos réserves[3] et changeons d’objet : la pensée détourne et transforme, en se les assignant comme un but, les obstacles mêmes que l’action[4] rencontre ; ce qui nous empêche d’agir nous devient le motif de notre action, et ce qui nous barre la route devient ce vers quoi nous marchons.

21

Honore ce qu’il y a de meilleur dans l’univers, c’est-à-dire ce qui se sert de tout et dirige tout. Honore de même ce qu’il y a de meilleur en toi, et qui est parent de l’autre. Chez toi, en effet, c’est ce qui se sert de tout le reste et gouverne ta vie[5].

22

Ce qui ne nuit pas à la cité ne nuit pas non plus au citoyen. Dès que tu auras l’idée d’avoir éprouvé un dommage, aie recours à cette règle : si telle chose ne nuit pas à la cité, elle ne me nuit pas non plus à moi-même ; si au contraire la cité en éprouve un dommage, je ne dois pas m’irriter contre celui qui l’a causé, mais lui montrer son erreur[6].

  1. [Var. : « l’impulsion. ». — Cf. supra III, 16, 3e note.]
  2. Les Stoïciens, d’après Simplicius (Catégories, 61, β), définissaient la « disposition » (διάθεσις) une « manière d’être » ou « détermination première » (ἔξις) qui ne comporterait pas de degrés : τὰς μὲν ἔξεις ἐπιτείνεσθαι δύνασθαι καὶ ἀνίεσθαι· τάς δὲ διαθέρεις ἀνεπιτάτους εἰναι καὶ ἀνετους. Le type de la διάθεσις, pour eux, c’est la vertu.]
  3. [Sur la théorie de la « réserve » (ὑπεξαίρεσις), cf. IV, 1, et VI, 50.]
  4. [Couat : « qu’elle rencontre. »]
  5. [Voir infra VI, 5, et VI, 8, la définition du « principe dirigeant » dans le monde et en nous.]
  6. Les manuscrits donnent τί τὸ παρορώμενον ; Cette proposition ne se comprend pas et doit être incomplète. L’idée à laquelle correspondent ces mots a été plusieurs fois exprimée par Marc-Aurèle, et une fois au moins dans les mêmes termes (XI, 13 ἔτοιμος τὸ παρορώμενον δεῖξαι). Il est donc très probable que la proposition τί τὸ παρορώμενον dépend d’un verbe tel que διδακτέον ou δεικτέον. [En somme, Aug. Couat admet ici la conjecture de Gataker, ὰλλὰ δεικτέον τί κτλ. — Une indication marginale du traducteur rapproche ce passage des pensées VII, 26 ; X, 4 ; XI, 13, qui recommandent et justifient par diverses raisons la bienveillance envers le méchant. C’est surtout, il me semble, la 26e pensée du livre IV ou la 4e du livre IX qui permettra d’interpréter celle-ci : « Celui qui commet une faute la commet envers lui-même, » — le dommage subi par la cité l’étant aussi par le citoyen qui en est l’auteur. Mais, s’il est puni, pourquoi s’irriter contre lui ?]