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L’ÉPOUSE ET LA MÈRE

tout le pouvoir ; ils ont acquis presque tout l’argent ; mais au pays de Québec rien n’a changé. Rien ne changera, parce que nous sommes un témoignage. De nous-mêmes et de nos destinées, nous n’avons compris clairement que ce devoir-là : persister… nous maintenir… et nous nous sommes maintenus, peut-être afin que dans plusieurs siècles encore le monde se tourne vers nous et dise : Ces gens sont d’une race qui ne sait pas mourir… Nous sommes un témoignage.

« C’est pourquoi il faut rester dans la province où nos pères sont restés et vivre comme ils ont vécu, pour obéir au commandement inexprimé qui s’est formé dans leurs cœurs, qui a passé dans les nôtres et que nous devrons transmettre à notre tour à de nombreux enfants : Au pays de Québec rien ne doit mourir et rien ne doit changer. »

Des années ont passé depuis cette époque, des années qui ont compté double. Louis Hémon est mort tristement avant de connaître la gloire et sans soupçonner la fortune qui attendait son livre. Le roman de Maria Chapdelaine fut traduit dans toutes les langues. Son succès fut prodigieux. Dans le monde entier, on applaudit l’art du romancier, mais on loua aussi les vertus de l’humble paysanne qui, pour répondre aux instincts profonds de sa race, repoussa courageusement l’appel d’une existence facile et sacrifia au devoir sa belle jeunesse et ses rêves d’avenir. Tout le roman tient dans cette crise de conscience d’où Maria Chapdelaine devait sortir triomphante et qui, certes, n’aurait même pas effleuré des âmes moins délicates que la sienne. C’est là son mérite et il est grand. Nous sommes beaucoup mieux en état de l’apprécier, après les abondantes saignées de l’émigration qui, entre les années 1920 à 1925, ont si douloureusement appauvri nos campagnes au profit des centres industriels du sud.


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