avec moi, ses manières furent toujours les
mêmes à mon égard. Bien loin de profiter de
mon lâche procédé pour me réduire, il ne chercha
seulement point à m’humilier ; il lui aurait
été facile de se saisir de l’argent qui nous restait,
et de m’abandonner au hasard de la mauvaise
fortune. Mais non, cet indigne trait n’était réservé
qu’à un monstre d’ingratitude : il fallait
être moi pour concevoir l’infâme projet que je
ne rougis point d’exécuter par la suite. Je ne
lui tins compte de rien, et n’étant plus occupée
que de flatteuses idées, je rejetai tout ce qui
pouvait m’en offrir de contraires.
Le chevalier de Bellegrade, que je commençais à distinguer parmi cette pépinière de fous qui fréquentaient notre maison, faisait pendant tout ce trouble de grands progrès sur mon cœur : il ne me disait jamais rien que d’obligeant, ne me parlait que de plaisirs, m’en vantait le raffinement, me répétait sans cesse les moyens de les rendre vifs et piquants. Son étourderie me paraissait une ingénieuse vivacité : je prenais de sa part les louanges les plus fades pour le plus exact discernement de mon mérite, son air guindé pour des manières de Cour ; j’excusais enfin sa trop grande liberté sur le violent amour que je me flattais lui avoir inspiré. Mon aventurier démêla bientôt mes