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Page:Pert - La Petite Cady.djvu/169

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les craquelins, les œufs durs, causant volontiers et essuyant indifféremment les tables, les tasses et les verres avec le même coin de leur tablier.

Et au-dessus des conversations, des rires, des courses des serveurs, des récriminations des joueurs mécontents, s’épandait la musique impérieuse et assourdissante d’un orchestre en smoking écarlate qui tapait et raclait à tour de bras des fox-trotts, des refrains de music-halls et même d’impitoyables fragments wagnériens.

Bondissante et légère, Cady, entraînant Mlle Armande dans son sillage, gagna un coin de table libre, près de l’orchestre, et tout en échangeant des sourires avec les musiciens, elle se laissa tomber sur le cuir du divan.

— Ah ! on est bien ici ! s’écria-t-elle en respirant avec délices l’air lourd, saturé de tabac, d’émanations de bière, de café, de liqueurs, que des ventilateurs suspendus au plafond brassaient furieusement.

Mlle Armande se récria bas, révoltée par l’attention de l’orchestre :

— Pourquoi ces hommes vous sourient-ils ? Est-ce que vous les connaissez ?

— Bien sûr, répondit Cady avec calme. Ce sont les musiciens du thé Duphot. Seulement, là-bas, on est correct, on ne se dit pas bonjour… Ici, ça n’a pas d’importance.

Justement le morceau finissait ; les smokings rouges se disséminaient dans la salle, invités de-ci, de-là, seul la contrebasse, un vieil homme grognon, occupait ses loisirs à se battre sournoisement avec le caniche obèse et galeux de l’établissement.

Le pianiste, un Milanais blond, mince, élégant, la mine obséquieuse et impertinente, les doigts noueux et malpropres, s’approcha en souriant de la table de Cady.

— C’est gentil de venir nous voir, dit-il d’une