Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/100

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
LXVI
INTRODUCTION

ou partie de leurs biens, et que les deux populations vécurent côte à côte et ne tardèrent même pas à se fondre ; il n’y eut pas substitution, sauf peut-être sur certains points particuliers. D’autre part, la civilisation germanique, de quelque couleur qu’un patriotisme dévoyé ait parfois essayé de la peindre, ne pouvait entrer en parallèle avec la civilisation de la Gaule romanisée et christianisée, quelque atteinte que celle-ci eût déjà pu recevoir.

Les barbares subirent l’ascendant qu’ils ne pouvaient exercer[1]. Ils entrèrent dans la culture romaine, comme dans l’Église romaine, et apprirent le latin, organe de l’une et de l’autre. L’administration même leur en donnait l’exemple. Non seulement chez les Bourgondions, mais même chez les Wisigoths et les Francs, elle ne prétendit longtemps que continuer l’administration romaine, et elle en garda tout naturellement la langue. La loi Gombette, le bréviaire d’Alaric, la loi Salique furent rédigés en latin, les diplômes, les chartes de même.

Cela ne veut pas dire, bien entendu, que les différences de langages s’éteignirent dès le début. Malgré les compliments de Fortunat, il est à supposer que Caribert parlait assez mal le latin, même le roman. Et s’il en était vraiment autrement, il devait faire contraste parmi les siens, qui certainement ne le savaient pas du tout. J’ai dit plus haut que je ne croyais pas aux conversions subites ; mais ici, nous le savons positivement, il fallut, pour que le latin triomphât de l’amour-propre, des habitudes et de l’ignorance des vainqueurs, des siècles de vie commune.

Si les clercs de la chancellerie mérovingienne rédigeaient déjà en latin, en revanche Charlemagne lui-même était encore fort attaché à son idiome, dont il avait commencé une grammaire[2]. Louis le Pieux semble aussi l’avoir parlé, quoiqu’il eût appris le latin. Et si les derniers Carolingiens, Louis IV et Charles le Simple, savaient le roman[3], ce qui est problable, il faut descendre jusqu’à Hugues Capet pour trouver un roi qui ait

  1. Il n’y a pas grand compte à tenir d’un passage de Cassiodore (Var., VIII, 21) où Athalaric écrit que la jeunesse romane parle le germanique.
  2. Einhard, Vita Caroli, 29.
  3. Ceci a été très ingénieusement soutenu par M. Lot : Les derniers Carolingiens, Paris, 1891, p. 308 et suiv.