Aller au contenu

Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/101

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
LXVII
ORIGINES DE LA LANGUE FRANÇAISE

sûrement ignoré le francique[1]. Les rois étaient-ils, sous ce rapport, en avance ou en retard sur leurs barons ? L’absence de documents ne permet pas de répondre avec certitude. Ce qui est sûr cependant, c’est que, dès 842, c’est en roman que Louis le Germanique doit prêter son serment à Charles pour être compris de l’armée de celui-ci, qui jure aussi en roman. Dès le même temps, l’abbé Loup, de Ferrières en Gâtinais, tout en parlant de l’allemand comme d’une langue indispensable à connaître[2], envoie son neveu avec deux jeunes gens vers l’abbé Marquart, de Prün, près de Trêves, pour qu’il apprenne le germanique. C’est signe qu’on ne le parlait guère autour du jeune homme. Sous Charles le Simple, l’armée, au témoignage de Richer[3], se prend de querelle avec l’armée germanique, à propos de railleries que des deux côtés on avait échangées sur la langue du voisin. En 939, les troupes d’Othon Ier à la bataille de Birthen se servent d’un stratagème pour triompher des Lorrains[4]. Quelques hommes « sachant un peu la langue » de ceux-ci, leur crient en français de fuir.

Assurément il faut se garder de généraliser et d’étendre la portée de ces témoignages ; ils sont assez significatifs pourtant, puisqu’ils sont relatifs à des armées, où nécessairement des descendants des Germains jouaient un rôle considérable. En somme il est vraisemblable que, dès le commencement du ixe siècle, la décadence du tudesque était profonde, et qu’il ne vécut guère plus tard, en deçà du Rhin, hors du pays qu’il occupe encore.

Le francique, le bourgondion, le gothique étaient en train de disparaître, lorsque les Northmans établirent définitivement leur

  1. C’est Richer qui nous a renseignés sur ce point dans un passage de sa Chronique III, 85… « dux Hugo etiam solus cum solo episcopo (Arnulfo) introduceretur, ut rege (Ottone) latiariter loquente, episcopus latinitatis interpres, duci quidquid diceretur indicaret. » Si Othon eût pu parler germanique, il n’y eût eu aucun besoin d’interprète dans cette entrevue intime.
  2. Il l’avait apprise lui-même (Epist. 81, dans la Patrologie latine, t. CXIX). Cf. 137 : Filium Guagonis nepotem meum, vestrumque propinquum et cum eo duos alios puerulos nobiles et quandoque, si Deus vult, nostro monasterio suo servitio profuturos, propter Germanicæ linguæ nanciscendam scientiam vestræ sanctitati mittere cupio.
  3. I, 20 : Germanorum Gallorumque juvenes linguarum idiomate offensi, ut eorum mos est, cum multa animositate maledictis sese lacessere cœperunt.
  4. Widukind, liv. II, ch. xvii. Monum. germ., III, 443 : « Etiam fuere qui Gallica lingua ex parte loqui sciebant, qui, clamore in altum Gallice levato, exhortati sunt adversarios ad fugam. »