Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/107

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
LXXIII
ORIGINES DE LA LANGUE FRANÇAISE

houx, mousse, roseau ; des animaux aussi : épervier, hareng, héron, mouette ; des parties mêmes du corps de l’homme : échine, hanche, nuque, rate ; enfin des adjectifs, des substantifs ou des verbes marquant des idées abstraites, comme gai, hardi, morne, orgueil, honte, choisir, honnir, etc.[1].

Je ne veux pas étendre cette liste au delà du nécessaire. Telle qu’elle est, elle suffit à montrer que les mots germaniques sont dispersés à travers tout le lexique. Et il est visible que si quelques-uns d’entre eux expriment des idées nouvelles, étrangères à l’ancienne société, tout au contraire, dans grand nombre de cas, la fortune des vocables étrangers ne s’explique pas par le besoin qu’on en avait, mais par l’influence que donnaient aux Germains vainqueurs leur nombre et l’importance de leur rôle. Certains adjectifs ou verbes mettent mieux encore que les noms cette vérité en lumière. Il est évident qu’on n’a pas attendu les barbares pour distinguer le blanc du bleu, un riche d’un pauvre, une femme laide d’une jolie femme et un homme gauche d’un homme adroit. Aucune supériorité linguistique non plus ne recommandait ces nouveaux adjectifs. De même les verbes blesser, briser, glisser, choisir, guérir, guider, et tant d’autres n’avaient aucune valeur propre, qui pût les faire préférer à leurs correspondants latins, souvent multiples, et capables de noter les diverses idées avec différentes nuances.

Il n’y a donc pas eu des emprunts du roman au germanique, mais dans une certaine mesure une véritable pénétration de l’un par l’autre. Il ne faudrait, je crois, en tirer aucune conclusion, dans le débat qui divise les historiens, au sujet de l’importance à attribuer aux invasions dans la constitution de notre France. La pénétration dont je parle a pu se faire lentement. Il importe toutefois de retenir qu’elle a été plus profonde et plus générale qu’aucune autre.

  1. Ajoutez une foule de noms propres : Louis, Thierry, Ferry, Gonthier, Charles, Fouquet, etc.