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LXXII
INTRODUCTION

formule correspondante en allemand, tandis que rien de semblable ne se rencontre en latin.

Mais quoi qu’il en soit, c’est le vocabulaire surtout — comme il est naturel — qui a gardé les traces les plus nombreuses de germanismes. L’analogie des mots allemands a introduit dans la dérivation deux suffixes, alt (auj., aud) et ard, qui ont servi à former une foule de noms propres et communs, et dont un au moins est encore en plein usage[1].

En outre, un grand nombre de mots dont on vient de voir quelques-uns sont restés comme des témoins de la conquête. Diez, sans tenir compte des dérivés et des composés, en comptait près d’un millier, et de nouvelles identifications ont été faites depuis sa mort. En ancien français le nombre en était plus considérable encore. L’ensemble de ce fonds germanique, entré anciennement dans le lexique français, est curieux à considérer, sous le rapport de la composition, et on comprend que plusieurs de ceux qui ont eu à en traiter aient classé les mots selon les catégories d’idées qu’ils expriment[2]. En effet, une grande quantité de ces mots, comme on peut s’y attendre, se rapportent à la guerre et à la marine (éperon, épieu, étrier, flamberge, gonfanon, guerre, halte, haubert, heaume, blesser, fourbir, navrer, écoute, havre, hune, mat, nord, ouest, sud, cingler, haler) ; d’autres, ce qu’on attend aussi, à la chasse, distraction favorite des nouveaux venus (braque, épervier, leurre) ; d’autres enfin aux institutions politiques et judiciaires (ban, chambellan, échanson, échevin, fief, gage, garant, loge ; maréchal, saisir, sénéchal) ; mais il s’en trouve plusieurs séries qui ne rappellent d’aucune façon le rôle politique ou militaire des Germains, et sont relatifs à des choses de la vie ordinaire. Ce sont des termes de construction : bord, faîte, loge ; de jardinage : haie, jachère, jardin ; d’ameublement : banc, fauteuil ; de cuisine : bière, rôtir ; d’habillement : écharpe, gant, guimpe, robe ; des noms désignant des plantes et des arbres : framboise, gazon, hêtre.

  1. Communard, cumulard, chéquard sont d’hier ; ard est venu du germanique hart par l’intermédiaire de noms propres tels que Bernard, Renard ; aud est venu de wald par des noms comme Guiraud, Regnaud. On le retrouve dans nigaud, rougeaud, saligaud, etc.
  2. Voir en dernier lieu, G. Paris, la Littérature française au moyen âge, Paris, 1888, p. 22 et suiv.