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Léger, évêque d’Autun, et victime d’Ébroïn, le farouche maire du palais. Le poème qui raconte sa vie et son martyre est, comme on l’a vu, le plus ancien poème en vers réguliers ; et il est vieux de plus de neuf siècles. Seul, le cantique de sainte Eulalie, qui a mille ans de date, est plus ancien que le Saint Léger[1].

Telles sont les vies rimées de saint Bonet, évêque de Clermont ; de saint Éloi ; de sainte Geneviève ; de saint Gilles ; de saint Martin, de saint Remi. Tous ces personnages sont historiques, et ils ont joué un rôle que la légende a pu grossir, mais qu’elle n’a nullement inventé. C’est un utile et très attrayant objet de recherche historique que ces vies de saints qui furent mêlés aux affaires de leur temps. M. Kohler s’est ainsi attaché à reconnaître dans les vies latines de sainte Geneviève l’élément strictement historique, et l’élément légendaire. Il serait à souhaiter que de tels travaux fussent faits sur toutes les vies de nos saints nationaux.

La valeur historique de ces documents ne doit pas d’ailleurs être exagérée. Ils abondent en erreurs, et en anachronismes dont quelques-uns sont énormes. Prenons saint Gilles, dont Guillaume de Berneville, un chanoine du XIIe siècle, a raconté la vie en vers français. MM. Gaston Paris et Bos ont donné, il y a douze ans, une excellente édition de ce poème, qui n’est pas sans valeur littéraire et poétique. Historiquement, que vaut-il ? Juste autant que l’original latin qu’il traduit ; c’est-à-dire peu de chose, à s’en tenir aux faits. Saint Gilles avait vécu au VIIe siècle : il avait fondé en Languedoc un célèbre monastère, vers 680 ; il était mort avant 719. Cependant la légende le fait vivre au temps de Charlemagne et l’associe étroitement à la vie du grand empereur, mort en 814. Il y a donc dans le récit des contradictions irréductibles.

Aussi, est-ce beaucoup moins l’époque de saint Gilles que Guillaume de Berneville a bien dépeinte, que la sienne propre ; et il ne faut pas tant chercher dans son poème le VIIIe siècle que le XIIe. M. Gaston Paris a très bien dit le genre d’intérêt qu’il peut offrir aux érudits : « Nous apprenons dans ses vers la

  1. Voir l’Introduction (Origine de la langue française) par M. F. Brunot.