Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/154

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mais ne ménage pas les gens d’Eglise, ni même ceux du cloître. Il a si mauvaise opinion des chrétiens qu’on serait tenté de croire qu’il est doux aux incrédules ; mais la vérité m’oblige à dire qu’il les traite encore bien plus mal.

Il hait furieusement les Juifs[1], et les motifs de sa haine sont politiques autant que religieux. Sans doute, il leur reproche de n’avoir pas reconnu le Messie ; avec une certaine éloquence, verbeuse, mais énergique, il montre la nature entière s’émouvant à la mort du Sauveur ; les Juifs seuls restent insensibles : « ils sont plus durs qu’acier ne fer. » Mais il les maudit encore pour d’autres griefs plus récents. Leur richesse l’épouvante, et leur pouvoir l’indigne. C’est la faute des grands, « des hauts hommes » qui, par avarice, ont vendu la chrétienté aux Juifs, et leur ont livré une seconde fois Jésus-Christ, plus traîtreusement que ne fit Judas. « Par les Juifs, le monde ils épuisent. » Pauvres chrétiens languissent dans les chaînes de fer du Juif usurier ; comtes et rois ne s’en soucient guère, pourvu qu’ils aient part au butin. Nous connaissons ces clameurs. Ainsi les mêmes colères soulevaient déjà il y a sept cents ans les mêmes malédictions.

Il dit crûment que s’il était roi, il ne laisserait pas un Juif en France :

S’estoie roys, pour toute roie,
Un seul durer je n’en lairoie[2].

Il n’est pas beaucoup plus tendre à l’endroit de ceux qui osent mettre en doute les merveilles qu’il nous raconte :

Que clerc ne lai douter n’en doit,
Et s’il en doute, de son doit
Li deit chascun les yeux pouchier.

Mais ce sont là colères de poète, et je suis sûr qu’en prose, il était plus accommodant. Il se plaint amèrement que ses con-

    il reproche aux vilains leur haine féroce contre les prêtres et les calomnies qu’ils accueillent contre le clergé. Il y a là des témoignages tout à fait surprenants (édit. Poquet, col. 625).

  1. Miracle de saint Hildefonse, éd. Poquet, col. 82-86.
  2. Édit. Poquet, col. 286.