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Mais quels que soient ses défauts, qu’on lui a durement reprochés[1], sa bonne foi est hors de soupçon, et ses bonnes intentions, certaines.

Gautier de Coinci, probablement originaire du bourg de ce nom, entre Soissons et Château-Thierry, naquit vers 1177, se fit moine à quinze ou seize ans, en 1193, à Saint-Médard-lez-Soissons, abbaye bénédictine ; devint en 1214 prieur de Vic-sur-Aisne, en 1233 grand prieur de Saint-Médard, et mourut trois ans plus tard, le 25 septembre 1236, ayant passé presque toute sa vie dans le cloître. Ses poésies sont exclusivement religieuses : contes pieux, récits de miracles, hymnes en l’honneur de la Vierge et des Saints. Comme poète lyrique, sa valeur est nulle ; comme conteur, il est meilleur écrivain, et beaucoup plus intéressant. Il avait sous les yeux des recueils latins de miracles[2] (par Hugues Farsit, par le prêtre Herman), qu’il traduit le plus souvent[3], mais d’une façon libre ; et en joignant au récit, qu’il emprunte, force digressions, qu’il invente, et qu’il appelle des queues. Il les distingue des récits miraculeux, et veut qu’on puisse lire séparément les uns et les autres :

Que cui la queue ne plaira,
Au paragraphe la laira ;
Et qui la queue vuet eslire,
Sans le miracle la puet lire[4].

Ces queues, ces digressions (aussi étendues que les récits), tantôt sont des effusions religieuses prolixes et banales ; tantôt renferment des peintures très curieuses des mœurs du temps, et surtout des vices, des travers et des ridicules. Gautier de Coinci, comme beaucoup de moralistes, ne voit pas le monde en beau ; le tiers au moins de son livre est une satire, et qui n’épargne personne. Il est très dur pour les grands ; et il ne l’est pas moins pour le peuple et les vilains[5]. Il maltraite fort le siècle ;

  1. Amaury Duval, dans l’Histoire littéraire, XIV, 839, traite d’ « imbéciles » les religieuses que charmaient les récits de Gautier, et réduit leurs images vénérées au rang des « fétiches » qu’on adore « dans la Nigritie ».
  2. Sur Hugues Farsit, voir Histoire littéraire, t. XI. — Sur le prêtre Herman, id., t. XVIII.
  3. Voir son prologue : « Miracles que truis en latin Translater vueil en rime et mettre. »
  4. Éd. Poquet (col. 611).
  5. Un passage très curieux et qui mériterait une étude à part, c’est celui où