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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/186

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temps inconnu est, avec celui d’Helgaire, le plus solide document que nous puissions alléguer en faveur de l’existence des cantilènes ou des chants lyrico-épiques. En dehors de ces deux témoignages, il n’y a (nous le répétons à dessein) que des hypothèses plus ou moins ingénieuses, des « sans doute » et des « peut-être ». Rien de plus.

Ces cantilènes dont l’existence est si clairement attestée par ces deux textes, ces complaintes, ces rondes, ces péans, ces chants lyrico-épiques ont un jour donné naissance aux chansons de geste dont nous écrivons l’histoire.

Le fait n’est point particulier à la France, et l’on a pu dire sans témérité que toute grande épopée nationale est toujours précédée de chants populaires et brefs[1]. Il est trop vrai cependant, comme nous l’avons dit plus haut, que tous les peuples n’arrivent pas jusqu’à l’Épopée. Plus d’un s’arrête en route et se contente de ses chants lyriques : « Voulez-vous, dit Bartsch[2], vous faire quelque idée d’un développement poétique qui n’est pas allé jusqu’à l’Épopée ? Voyez les romances espagnoles. » D’autres historiens de la littérature ont pris soin d’énumérer les pays, comme l’Écosse et comme la Serbie, « où les chants héroïques n’ont pas abouti à des épopées ». Plus heureux que ces peuples et quoi qu’en ait pu dire le siècle de Voltaire, nous avons eu, nous, Français, « la tête épique », et les cantilènes chez nous n’ont pas seulement précédé une véritable épopée : elles l’ont créée.

Cette théorie a naguère été contestée ; mais je pense qu’à l’heure actuelle, il n’y a guère plus que Godefroid Kurth et Pio Rajna à enseigner qu’à l’époque mérovingienne les poèmes consacrés aux héros franks « constituaient de véritables chansons de geste ». Ces excellents érudits seraient fort embarrassés si on leur demandait de formuler une preuve positive en faveur d’une affirmation aussi hardie.

Paul Meyer avait jadis professé une autre théorie, et qu’on pourrait, ce semble, accepter en un certain nombre de cas qu’il serait d’ailleurs assez malaisé de définir. Entre les faits historiques d’une part, et, de l’autre, les chansons de geste, il n’est pas

  1. Nyrop, Storia dell’ epopea francese, p. 21.
  2. Revue critique, 1886, no 52.