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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/185

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pas à redire ici que la plupart des poèmes où Kurth a vu des épopées, ne sont à nos yeux que des cantilènes, des complaintes, des rondes. Telle est notre conclusion sur ce qu’on a voulu appeler l’ « épopée mérovingienne ».

Théorie des cantilènes d’où l’épopée française est sortie. — Durant tout le moyen âge et même jusqu’à nos jours, on a continué de chanter les complaintes et les rondes dont nous venons de parler et sans lesquelles notre épopée n’eût peut-être jamais vu le jour. C’est à tort qu’on a prétendu qu’elles avaient disparu devant l’Épopée « comme les dernières étoiles devant le jour naissant » ; c’est à tort que Gaston Paris a pu écrire : « Vers la fin du Xe siècle, quand la production des cantilènes cessa, l’Épopée s’empara d’elles et les fit complètement disparaître en les absorbant »[1] ; c’est à tort enfin que le même érudit a dit ailleurs : « L’Épopée, quand elle se développa, remplaça ce qui l’avait préparée ; on ne peut avoir le même individu à l’état de chrysalide et à l’état de papillon[2]. » L’image est charmante, mais le fait ne semble pas exact. Les chants lyrico-épiques ont coexisté et coexistent encore avec cette épopée qu’ils ont pour ainsi dire enfantée. L’auteur de la Vita sancti Willelmi, qui écrivait au commencement du XIIe siècle, parle quelque part de ces chants populaires, qui avaient Guillaume pour héros et qui, du temps de cet historien, étaient encore répétés en chœur par les jeunes gens, par les nobles, par les chevaliers, par le menu peuple, et jusque dans les vigiliæ sanctorum. Certes ce ne sont point là des chansons de geste. Des chansons de geste ne restent pas ainsi gravées dans la mémoire de tant d’illettrés ; elles sont trop compliquées, et surtout trop longues. Il est démontré, d’autre part, qu’il y a eu, avant le XIIe siècle, des épopées consacrées à Guillaume et à sa race. Donc, les cantilènes n’ont pas cessé de vivre après la naissance de l’épopée. Elles vivent encore et nous pouvons, si nous le voulons bien, en entendre tous les jours dans les villes comme aux champs, et jusque dans les rues de notre Paris.

Pour en finir avec la Vita sancti Willelmi, il convient d’observer que, malgré sa date relativement récente, ce texte long-

  1. Histoire poétique de Charlemagne, p. 11.
  2. Romania, XIII, 618.