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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/189

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nécessaire, suivant lui, d’imaginer l’intermédiaire des cantilènes. La tradition orale suffirait amplement à tout expliquer. On a répondu à Paul Meyer en lui objectant la fragilité bien démontrée de la tradition orale et en observant qu’au bout de quelques années, il ne resterait plus rien d’un fait historique ou légendaire qui n’aurait pas été fixé par le rythme et par le chant.

L’opinion des érudits semble aujourd’hui presque unanime en faveur des cantilènes, et c’est Gaston Paris qui en a donné le résumé le plus exact : « Les chansons de geste, dit-il[1], ne peuvent s’appuyer que sur des chants lyriques antérieurs dont elles ont développé l’élément épique et supprimé l’élément lyrique. » Elles ne sont, à ses yeux (les plus anciennes du moins), que l’amplification de chants contemporains des événements. « Sans doute, ajoute-t-il[2], il existait des chants de ce genre en langue vulgaire sous les Mérovingiens. Beaucoup ont été consacrés aux guerres de Charles Martel et de Pépin ; mais c’est sous Charlemagne qu’ils se produisirent avec le plus de richesse et d’éclat. » Et, appliquant son système à la plus vénérable, à la plus antique de nos chansons de geste, Gaston Paris en vient à donner encore plus de précision à une théorie que nous avions jadis défendue, mais non sans quelque exagération : « L’événement tragique qui fait le centre du Roland a dû susciter, dès le moment même, des chants qui se répandirent très vite. Ces chants, probablement courts et pathétiques, se sont transformés peu à peu et ont abouti au poème tout narratif et long de quatre mille vers qui a été rédigé vers la fin du XIe siècle[3]. » Dans ce remarquable exposé d’une doctrine qui nous est chère, nous n’aurions guère à supprimer que les points d’interrogation ou de doute dont elle est encore accompagnée. Étant donné le chant de saint Faron, étant donné le texte moins décisif mais encore important de la Vita sancti Willelmi, on peut affirmer sans ambages que la mort de Roland a certainement inspiré des chants tout semblables à ceux dont Clotaire II et Guillaume ont été l’objet à deux siècles d’intervalle. Ce n’est plus là de l’hypothèse.

  1. Romania, XIII, 617.
  2. Chanson de Roland, p. VII.
  3. Ibid., p. VIII.