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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/190

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Ce qu’il faut au contraire se garder d’adopter, c’est la thèse excessive que nous avions naguère soutenue et qui pouvait se résumer en ces quelques mots : « Les premières chansons de geste n’ont été que des chapelets d’antiques cantilènes. » Il y a longtemps que nous avons dû renoncer à ce paradoxe que Rajna a si justement combattu. La vérité se réduit à cette proposition qu’a formulée Nyrop avec son ordinaire sagacité et modération : « Nos premiers épiques se sont contentés de profiter des cantilènes, mais ne les ont pas textuellement utilisées. » La seule hypothèse qui pourrait être ici permise, c’est celle qui a été hasardée il y a quelque vingt ans[1]. Il pouvait arriver, a dit un romaniste contemporain, qu’on demandât à un chanteur populaire de réciter toutes les cantilènes qu’il connaissait sur Ogier, sur Guillaume, sur Roland. Il les récitait de suite et en leur imposant sans doute un certain ordre. De là à avoir l’idée d’une chanson de geste, il n’y avait qu’un pas à faire. On le fit.

Mais, malgré tout, il est encore plus sage de s’en tenir à ces deux affirmations : « Les Chansons de geste ont été précédées par des cantilènes qui avaient été souvent contemporaines des grands faits et des grands héros historiques. Un certain nombre de nos chansons de geste ont été inspirées par ces cantilènes. »

Charlemagne, personnage épique. Persistance des cantilènes et commencement de leur transformation. — Charlemagne ! telle est la figure radieuse qui s’impose ici à notre regard et, en quelque façon, nous barre le chemin. Dans toute histoire de l’épopée française, c’est le fils de Pépin qui occupe de droit la première place, et l’historien qui la lui refuserait ne devrait être considéré que comme un juge prévenu ou un esprit sans portée. On a peut-être dépassé la vérité en disant naguère que sans Charlemagne nous n’aurions pas eu de chansons de geste ; mais, à coup sûr, nous ne les aurions ni si nombreuses ni si amples. Cet homme étonnant communique sa grandeur aux chants qu’il inspire. Clovis et Charles Martel n’ont guère laissé dans notre poésie nationale que des souvenirs plus ou moins confus : Charlemagne, lui, y a laissé son empreinte vivante. « Arrivée à Charlemagne, dit Godefroid Kurth, l’Épopée

  1. Voir Épopées françaises, 2e éd., I, p. 178.