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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/237

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l’existence d’un cycle bourguignon, et non pas celle d’une épopée provençale.

« Mais le Fierabras provençal ? » C’est la traduction servile du Fierabras français. « Mais Daurel et Beton ? » C’est une imitation évidente de nos chansons du nord : c’est un écho, c’est un reflet ; rien d’original, rien qui soit du terroir. « Mais Aigar et Maurin ? » On n’en possède qu’un fragment, et les meilleurs juges ne sauraient ici rien décider. Est-ce une œuvre vraiment provençale comme on pourrait le croire ? ou n’est-ce que le remaniement d’un de nos vieux poèmes ? On ne le saura sans doute jamais. « Mais Tersin ? » C’est l’arrangement en prose d’un poème relativement moderne, et il n’y faut voir encore qu’une imitation de nos romans français. Il n’y a vraiment pas lieu d’alléguer ici ce Philomena, cette chronique du XIIIe siècle dont il convient, suivant Paul Meyer, de chercher la source dans la chronique de Turpin, dans quelque chanson de geste française et dans la fantaisie de l’auteur. La Vida de sant Honorat, composée vers 1300 par Ramon Feraut, n’est que la traduction d’un texte latin où l’on a mis à profit quelques-unes de nos chansons. Si le génie méridional s’est haussé jusqu’à l’épopée, c’est, à coup sûr, dans le beau poème sur la croisade des Albigeois ; mais c’est là — tout le monde l’avoue — une œuvre avant tout historique. Elle a le ton de l’épopée, mais elle n’en a que le ton[1].

Si la langue de nos vieux poèmes a donné lieu à des études et à des débats scientifiques dont toute passion n’a pas toujours été absente, leur versification n’a pas été l’objet de contestations moins vives, et l’ardeur aujourd’hui n’en semble pas éteinte. Là aussi nous nous trouvons en face de plusieurs systèmes qu’il convient tout d’abord d’exposer lucidement. Il s’agit de l’origine de ce vers décasyllabique français qui est par excellence notre vers épique, comme aussi de cet alexandrin qui était appelé à devenir un jour le plus classique de tous nos vers. Somme toute, les systèmes dont nous parlions peuvent aisément se réduire à deux. Suivant Gaston Paris, notre vers français dérive du vers latin populaire, du vers latin rythmique, dont il est, pour mieux dire,

  1. Voir Nyrop, l. c., p. 148-157.