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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/238

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le développement ou le prolongement naturel. En d’autres termes, « la rythmique populaire romane remonte à la rythmique populaire latine ». Du vers métrique, du vers consacré par le génie de Virgile et d’Horace, il ne saurait être question un seul moment : c’est dans les vers grossiers chantés par le peuple et par les légionnaires romains qu’il faut aller chercher le type de la versification du moyen âge et par conséquent de la nôtre. Cette versification plébéienne des Latins remonterait, d’ailleurs, à une très haute antiquité[1], et il n’y aurait eu, dans sa longue existence, aucune solution de continuité jusqu’à l’époque incertaine où furent forgés, sur son modèle, les plus anciens de nos vers français[2].

Telle est l’opinion qu’a constamment soutenue Gaston Paris, depuis trente ans. Tout autre est celle à laquelle nous avons, nous-même, été longtemps fidèle.

À nos yeux la versification française ne dérivait pas directement de la versification rythmique ou populaire des Romains, mais de certains mètres latins qui, dans le corps de notre liturgie et sous l’influence de la poésie populaire, se sont peu à peu transformés en rythmes. C’est ainsi que nous nous étions cru autorisé à faire sortir le décasyllabe du dactylique trimètre et l’alexandrin de l’asclépiade. Non pas sans doute de ce dactylique et de cet asclépiade à l’état métrique ; mais de ce dactylique et de cet asclépiade à l’état rythmique, liturgique, chanté. Non pas du dactylique de Prudence qui est encore classique : In cineres resoluta flues ; non pas de l’asclépiade d’Horace : Crescentem sequitur cura pecuniam ; mais du dactylique du Mystère des vierges folles : Negligenter oleum fundimus, et de l’asclépiade d’une hymne célèbre, dont la date a été trop vaguement fixée entre le VIIe et le xe siècle : O Roma nobilis, orbis et domina.

Il ne nous coûte pas de confesser ici qu’après de longues réflexions nous nous rallions aujourd’hui au système de M. Gaston Paris[3].

  1. C’est celle dont parle Marius Victorinus au IVe siècle, et « ce texte capital, dit Gaston Paris, devrait servir d’épigraphe à toute discussion sur l’origine de la versification romane ». « Quid est consimile metro ? Rythmus. Rythmus quid est ? Verborum modulata compositio, non metrica ratione, ad judicium aurium examinata, utputa veluti sunt carmina poetarum vulgarium. »
  2. Romania, XIII, p. 622.
  3. Cette « conversion » ne s’applique qu’aux origines de la versification française. Nous demeurons plus que jamais convaincu (et c’est pour nous l’évi-