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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/24

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PRÉFACE

a été introduite. Quant aux autres, bien qu’ils eussent été oiriginairement conclus dans un esprit bien différent, ils nous offrent un idéal tout social, et même tout conventionnel, de courtoisie et d’honneur : ils présentent à la société chevaleresque du xiie siècle un miroir où elle aime à se contempler telle qu’elle croit être ou voudrait être. Les romans d’aventure, empruntés de toutes parts, et qui répondent au besoin universellement humain d’entendre et de raconter des histoires merveilleuses, ont subi insensiblement une réfraction analogue : nos poètes aiment à en tirer une leçon, à y introduire les règles de la vie élégante de leur temps, à changer ces vieux récits, qu’avait formés la seule imagination en vue de plaire à elle-même, en exemples et en moralités. Le même souci se retrouve jusque dans les fableaux : beaucoup des rimeurs de ces contes souvent plus que gais se préoccupent de donner à leurs récits quelque portée morale ou au moins satirique, ne voulant pas avoir l’air de se contenter du plaisir de rire sans arrière-pensée. Dans ces romans et dans ces fableaux on reconnaît d’avance l’esprit qui a inspiré Télémaque ou les « contes moraux » du xviiie siècle. L’histoire partage la tendance générale. Le livre de Villehardouin est un écrit apologétique ; celui de Froissart est un tableau de la société du xive siècle destiné à servir de « leçon de choses » aux nobles pour qui il est écrit ; celui de Commines est un traité de politique illustré par des exemples. Seul, le bon Joinville a écrit ses Mémoires pour le plaisir de raconter ses aventures en Orient ; encore était-ce moins pour se les rappeler à lui-même que pour les faire connaître à plus de monde qu’il ne pouvait le faire en les redisant « es chambres des dames », La religion elle-même, qui, jadis comme aujourd’hui, a occupé tant d’intelligences et rempli tant de cœurs, a produit chez nous peu de ces ouvrages mystiques où l’âme exhale en