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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/25

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PRÉFACE

effusions passionnées son amour de Dieu et son aspiration vers lui : on n’en trouve pas plus au moyen âge qu’aux temps modernes (car l’Imitation de Jésus-Christ n’est pas une œuvre française) ; mais on y trouve d’excellents traités de morale chrétienne et d’ardents plaidoyers pour ou même contre l’Église ; nos écrivains religieux de tous les temps prêchent ou discutent bien plus qu’ils ne se recueillent en eux-mêmes ou ne s’absorbent en Dieu.

Au reste, cette littérature, toujours préoccupée d’agir sur les hommes, a pleinement atteint son but. Les chansons de geste étaient, au moment de la prodigieuse fermentation d’où elles sont sorties, comme les bulletins, rapidement colportés au loin, des actions héroïques ou blâmables, et on ne désirait rien tant que d’y figurer honorablement, comme on ne craignait rien tant que de fournir le sujet d’une « mauvaise chanson ». Les romans de la Table Ronde ont agi sur les mœurs de la société à laquelle ils s’adressaient et servi longtemps de modèles à tout ce qui prétendait être « courtois ». Les chansons de croisade ont poussé plus d’un chevalier vers la Syrie ; les chansons politiques, les dits satiriques ont joué un rôle important dans les luttes publiques et privées. Mais rien ne se compare à l’influence exercée par l’œuvre de Jean de Meun, de celui qu’on a pu appeler le Voltaire du xiiie siècle : elle a passionné les uns, elle a scandalisé les autres, et en somme elle a formé en grande partie les idées et les manières de voir que la bourgeoisie du moyen âge a transmises à la bourgeoisie moderne. Garnier de Pont-Sainte-Maxence, Rustebeuf, Alain Chartier, bien d’autres encore, ont prétendu guider ou contredire l’opinion de leurs contemporains sur tous les sujets en discussion, et on ne peut nier qu’ils n’aient eu sur elle une influence souvent considérable. Telle a été aussi la prétention et telle a été l’action de beaucoup de nos écri-