Aller au contenu

Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/241

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

C’à un des pers qu’iert de grand vasselaje
Donra la vile et le mestre manaje,
Qui gardera la terre et le rivaje :
Si l’an fera feauté et omaje[1].

On saisira facilement, en lisant les deux passages que nous venons de transcrire, la différence entre les deux systèmes de l’assonance et de la rime. L’assonance est un procédé des temps primitifs (on aurait dit « barbares » il y a cent ans), alors que l’on écoute nos vieux poèmes et qu’on ne les lit pas, parce qu’on ne sait pas lire. Mais bientôt viendra un temps plus civilisé et, parmi les auditeurs de nos chansons, il y en aura plus d’un qui prendra un véritable plaisir à lire nos romans et à en demander copie. Durant la première époque, qui est celle de l’ignorance, l’assonance suffit à tout : car elle est faite pour les oreilles et non pour les yeux[2]. Mais les lettrés ne s’en contentèrent pas, et il fallut un jour leur donner satisfaction. De là, la rime[3].

L’élision n’atteint généralement que la lettre e. Encore y a-t-il eu quelque hésitation à ce sujet et, dans le Roland notamment, il est permis au poète d’élider cet e ou de ne point l’élider. L’hiatus est toléré pourvu que la dernière syllabe du premier mot soit une syllabe tonique[4]. C’est peut-être ici qu’il y aurait lieu de parler aussi de la césure. Dans l’alexandrin, sa place est toujours fixée après la sixième syllabe accentuée ; mais il faut ici distinguer deux sortes de décasyllabes. L’un (c’est le cas le plus fréquent) a sa césure après la quatrième syllabe tonique : Le cuer d’un home vaut tout l’or d’un païs ; l’autre, dont on trouve le type dans Girard de Roussillon, dans Aïol et dans cette ignoble parodie qui a pour titre Audigier, nous l’offre après la sixième : Mult tost s’est endormis li bacheliers. — La batalha e l’estorn fan remaner. — Tel conte d’Audigier que en set pou. Enfin nous retrouvons çà et là dans nos romans, mais fort rarement, la césure lyrique qui donne à l’e muet, à la quatrième syllabe, la valeur d’une tonique : Et à Lengres seroie

  1. Aimeri de Narbonne, vers 320-327. C’est à dessein que nous citons ici des
    couplets féminins. Pour des motifs qu’il est facile de déduire, l’assonance y est
    demeurée plus longtemps que dans les masculins.
  2. L’assonance est restée jusqu’à nos jours en un grand nombre de chants populaires, de rondes ou de complaintes.
  3. Voir, dans nos Épopées françaises (I, p. 335), la Table complète des chansons assonancées et des chansons rimées.
  4. G. Paris, l. c, p. 59.