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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/240

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D’après les deux exemples précédents, on peut se convaincre de la coexistence des assonances masculines et féminines dans nos plus anciens textes épiques. Pas n’est besoin d’ajouter que l’e post-tonique n’est jamais compté pour une syllabe à la fin des vers. Comme on le voit dans les vers cités plus haut (Deus i cantat la messe, si firent li Apostle ; Pur Karlemaigne fist Deus vertuz mult granz), nos pères appliquaient également cette loi de l’e post-tonique à la fin du premier hémistiche[1]. Nous avons, je ne sais pourquoi, renoncé à cette excellente liberté.

Il y aurait à écrire ici tout un Traité de versification épique, et nous ne saurions descendre en ce détail. Nous ne pouvons néanmoins nous dispenser de fournir quelques indications sommaires sur le mécanisme de cette rythmique. Chacun de nos vers épiques, alexandrins ou décasyllabiques, est lié à ceux qui le précèdent ou qui le suivent par le lien étroit de l’assonance. L’assonance, qu’il ne faut pas confondre avec la rime, porte uniquement sur la dernière syllabe tonique ou accentuée ; la rime, au contraire, porte non seulement sur cette dernière voyelle sonore, mais sur tout ce qui la suit. Ces définitions ont besoin d’être éclaircies par des exemples.

Donc voici des vers assonancés :

Ce fu à une feste du baron saint Basile.
Garniers, li fiz Doon, a faite la vegile ;
La messe li chanta li evesques morises.
Il offri de besans qui bien valoit cent livres,
Et Aie la duchoise et noches et afiches…
Sont venu au palais quant la messe fu dite.
Devant le Roi jurerent, si que François l’oïrent,
Que Garniers vot mordrir le Roi par felonnie[2].

Et voici des vers rimés :

Charles li Rois fu moult de grant coraje ;
La cité voit et l’ancïen estaje
C’a force tienent li Sarrazin aufaje.
Lors s’apansa de merveillex barnaje,

  1. Dans l’un et l’autre cas, à la fin du premier comme du second hémistiche, les notations muettes es, et, ent, suivent tout naturellement la loi de l’e simple : Er seir vus huberjastes, en vos cambres perines. — L’Emperere s’asist, un petit se reposet. — Tute jur se deportent, giuent e esbanient (Pelerinage).
  2. Aye d’Avignon, vers 343 et suiv.