Aller au contenu

Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/245

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

bone espée que ai ceint à l’costet ; — Tut en verrez le brant ensanglentet. Felun paien mar i sunt asemblet. — Jo vus plevis, tuit sunt à mort livret. »

III. « Cumpainz Rollanz, sunez vostre olifant : — Si l’orrat Carles ki est as porz passant. — Jo vus plevis, ja returnerunt Franc. » — « Ne placet Deu, ço li respunt Rollanz. — Que ço seit dit de nul hume vivant — Que pur paiens ja seie-jo cornant. — Ja n’en avrunt reproece mi parent. — Quant jo serai en la bataille grant — E jo ferrai e mil colps et set cenz, — De Durendal verrez l’acier sanglent. — Franceis sunt bon, si ferrunt vassalment. — Ja cil d’Espaigne n’avrunt de mort guarant. » (Roland, vers 1049-1081.)

Et maintenant, quelle est l’origine de ces couplets similaires dont nous venons d’offrir un type si exact ? Quelle en est la nature et quel en est le caractère ?

En dépit de tous les systèmes qui ont été proposés, nous persistons à croire que ces répétitions sont un procédé artistique.

Oui, avant notre Roland, au Xe siècle peut-être, il est possible qu’il n’en ait pas été ainsi. Il est possible qu’en cette première époque si mal connue de l’histoire de notre épopée, les jongleurs aient fait copier, à la suite l’un de l’autre, sur leurs petits manuscrits portatifs, deux ou trois laisses qui étaient empruntées à deux ou trois versions différentes et qu’ils chantaient ad libitum, tantôt l’une et tantôt l’autre. L’oraison funèbre de Roland aurait même gardé dans notre vieux poème un vestige précieux de cet usage, et c’est ainsi qu’on explique pourquoi le grand empereur dit en un premier couplet de ce touchant panégyrique : « Quand je serai à Laon », et dans un second : « Quand je serai à Aix. » Cette hypothèse est donc admissible pour une antiquité très reculée et dont nous n’avons pas la clef. Mais je dis, mais je m’obstine à croire qu’à part cette exception, nos couplets similaires ont été voulus par les poètes. J’en ai donné naguère une preuve à laquelle on ne peut vraiment rien opposer. C’est qu’il arrive qu’au lieu de se répéter servilement, ces laisses se complètent. Voyez plutôt les célèbres adieux de Roland à sa Durandal : dans la première strophe, le héros rappelle, sans rien préciser, le vague souvenir de toutes ses victoires ; dans le second, au contraire, il énumère ses conquêtes par leurs noms et reporte sa pensée au jour où il reçut sa bonne épée des mains de Charlemagne ; dans le troisième, enfin, il songe à toutes les reliques qui sont dans le pommeau de Durandal. On pourrait