Aller au contenu

Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/255

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nobles et des plus vaillant chevaliers[1]. Voilà de ces lieux communs pour lesquels on serait tenté d’être moins sévère.

Il y a d’autres formules qui, comme nous le disions plus haut, n’affectent que la forme de nos chansons. Elles semblent moins graves et le sont en effet ; mais, comme elles foisonnent à chaque page, on en est encore plus importuné que des autres. Ce sont ces innombrables chevilles dont quelques juges trop bienveillants ont cru atténuer l’insupportable médiocrité en les décorant sans discernement du nom d’épithètes homériques. Ce sont ces noms de Saints qui varient à chaque couplet selon les besoins de la rime, de telle sorte que c’est saint Simon qu’on invoque dans les couplets en on, saint Amant dans les couplets en ant et saint Léger dans les couplets en ier. Ce sont encore ces recommencements dont nous avons déjà dit quelques mots : Or commence chançon merveilleuse, esforcie[2] ; ce sont, dans le même ordre d’idées, ces or lairons ci et ces si vous dirons qui sont décidément des transitions par trop naïves et rudimentaires[3]. Ce sont aussi ces petits tableaux printaniers qui égaient un instant la monotonie de tant de couplets un peu gris : Ce fu el mois de mai que la rose est florie[4]. C’est l’annonce sans cesse renouvelée des événements ultérieurs : Si com l’histoire après le contera[5] : c’est la prophétie émue de ceux de ces événements qui sont les plus dramatiques et les plus sanglants : Hé Dex ! si en sera mainte larme plorée, Et tant pié et tant poing, tante teste coupée[6] ; c’est la description détaillée de chacun de ces faits douloureux : Là veïssiez si grant dolor de gent, Tant home mort et navret et sanglent[7]. Ajoutez à toutes ces formules qui tourbillonnent comme grêle autour de vous, ajoutez l’emploi immodéré des songes, l’abus des proverbes (com li vilains le dit en reprovier) et les développements interminables de ces prières où l’on résume en cent vers l’histoire de tout l’Ancien et de tout le Nouveau Testament, et qui se terminent invariablement par des vers semblables à

  1. Reine Sibille, Gaidon, Gaufrey, etc.
  2. Siège de Barbastre, etc.
  3. Or lairons ci der bon oste Guimant ; — Si vous dirons d’Auberi le vaillant (Auberi, éd. Tobler, p. 37).
  4. Foulques de Candie, etc.
  5. Siège de Narbonne, etc.
  6. Destruction de Rome, etc.
  7. Roland, vers 1622, etc.