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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/254

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quelques mots, qui sont plus restreints sans doute et moins importants, mais dont on n’a guère moins abusé. La liste en serait trop étendue. C’est, par exemple, ce pauvre enfant royal qui naît dans la misère, dans l’exil, dans les larmes[1], et qui est un jour abandonné par une mégère ou par un traître au fond d’un grand bois où il est allaité et nourri par quelque fauve[2] ; c’est cette fameuse croix « sur l’épaule droite » à laquelle on reconnaît les fils d’empereurs ou de rois[3] ; c’est encore ce petit héritier d’un chevalier ou d’un baron, c’est ce jeune noble dont la naissance est ignorée, et qui (comme nous avons eu déjà l’occasion de le signaler) est très prosaïquement élevé par un vilain ou par une marchande également vulgaires[4]. Puis, il y a cette partie d’échecs dont on nous a vraiment persécutés et où l’on voit tant de fois un joueur furibond qui tue net son infortuné adversaire avec un de ces formidables échiquiers du moyen âge dont les nôtres ne sauraient donner une idée[5]. Faut-il parler du cor magique qui nous plaît aux lèvres d’Huon de Bordeaux, de ce client si étourdi et si charmant du nain Oberon, mais dont le son, trop souvent répété, finit par nous agacer ou nous endormir[6]. Il en est de même pour les héroïnes de tant de romans (même à la meilleure époque) dont la sensualité agressive est faite pour révolter les moins prudes et qui s’offrent brutalement à ceux mêmes qui ne veulent pas d’elles. D’autres légendes honorent davantage l’âme humaine et nous consolent un peu de ces sauvageries. Telle est celle de la femme innocente et persécutée, dont la vertu est enfin remise en lumière ; telle est celle du traître qui commet cent crimes invraisemblables, mais qui est un jour dévoilé et puni[7] ; telle est celle enfin de ce vilain qui, à force d’accomplir de beaux faits d’armes et des actes de haut dévouement, s’élève au niveau des plus

  1. Enfances Roland, Parise, Aïol, Enfances Vivien, etc.
  2. Voir Épopées françaises. II, p. 497.
  3. Ibid.
  4. Enfances Vivien, Hervis de Metz, Florent et Octavian.
  5. Ogier, Renaus de Montauban, etc.
  6. Huon de Bordeaux, le Chevalier au Cygne, etc.
  7. Voir Macaire dans Aiol et dans la Reine Sibille ; Hardré dans Parise, Gui de Nanteuil et les Lorrains ; Alori, dans Jehan de Lanson ; Fromont, dans Garin le Loherain et Jourdain de Blaivies ; Thibaut d’Aspremont dans Gaidon ; Driamadant dans Garin de Montglane ; Amauri, Gérard et Gibouard dans Huon de Bordeaux ; Hervieu dans Gui de Nanteuil, etc., etc.