Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/260

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les autres plus fine. Cette langue est une en effet : elle n’a pas été forgée deux fois, par le peuple d’abord et ensuite par les savants. C’est un franc parler et sans alliage. À ceux qui aiment la phrase longue, il ne faut pas demander d’admirer celle de nos poètes qui ne dépasse pas souvent les limites d’un vers de dix ou de douze syllables. Pas d’incidentes : un substantif, un verbe, un régime. On a déjà observé avant nous qu’on y rencontre rarement le subjonctif, le conditionnel ou l’imparfait. C’est une suite de constatations brèves. Je ne pense pas d’ailleurs que l’auteur d’Ogier ou celui de Roland se soit dit une seule fois que l’harmonie est la loi du vers. Ils ont le sentiment du rythme ; mais rien de plus. S’il est vrai que la poésie se compose d’un élément pittoresque et d’un élément musical, ils n’ont guères connu que le premier. Encore la nomenclature de leurs images est-elle assez restreinte. Mais tant de défauts sont largement compensés par une belle vigueur et une clarté sans seconde. Un mot dit tout : c’est du français.

Toute habileté est absente de ces poèmes sincères, et jusqu’à cette habileté même qui est de si bon aloi et qui consiste à préparer de loin, par des péripéties heureusement amenées, le dénouement d’une action que le lecteur doit entrevoir, mais ne doit pas connaître. Si les auditeurs de nos chansons ne devinaient pas longtemps à l’avance la conclusion de ces très candides romans, il faut croire qu’ils y mettaient vraiment beaucoup de mauvaise volonté, d’autant que le poète ne se gênait point pour la leur révéler à plus d’une reprise, et fort brutalement. On n’est pas haletant en les lisant ; on ne se dit pas avec un battement de cœur : « Que va-t-il arriver ? Ce traître va-t-il triompher ? Cette innocence va-t-elle succomber ? » Nos conteurs ne sont au courant d’aucune des finesses de la vieille ou de la nouvelle rhétorique. L’art des transitions leur est absolument étranger, et ils ressemblent à ces enfants qui, racontant une histoire à leurs camarades, leur disent tout naïvement : « Je viens de vous parler de Louis ; je vais maintenant vous parler de Charles. » Comme ils n’ont pas le sentiment de l’unité, il ne faut pas s’étonner s’ils interrompent tout à coup leur récit principal pour y intercaler à l’aveuglette je ne sais quel épisode de cinq cents vers, je ne sais quel hors-d’œuvre sans fin. Il en résulte, dans leurs poèmes, une