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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/286

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plaisir, dès le XIIe siècle, à faire passer en leur parler un grand nombre de nos vieux romans plus ou moins servilement traduits. Il ne nous est guère resté que des fragments de ces adaptations thioises ; mais il est certain que les Néerlandais ont été affolés de notre poésie et qu’ils ont tout fait pour avoir le bonheur très vif de lire en leur langue Roncevaux, Guiteclin, Floovant, Ogier, Renaud, Aiolet les Lorrains. C’est au XIIIe siècle qu’il faut principalement placer la date de ce bel engouement qui avait déjà commencé à se donner carrière au siècle précédent. Mais, tout n’est ici-bas qu’évolution et réaction. Dès le XIIIe siècle, une réaction passionnée se manifesta contre les romans français, à peu près semblable à celle qui anime aujourd’hui les Belges de race flamande contre ceux de race wallonne. Jacques de Maerlant proteste avec quelque rage contre ces romanciers français qui calomnient si indignement le grand empereur, et Jan Boendale, plus vigoureux encore, souhaite une courte vie à tous ces artisans de mensonge. Un observateur superficiel, comme il y en a tant, aurait pu croire alors que nos pauvres poèmes étaient morts pour toujours dans cette région des bas-pays. Mais nos chansons ont la vie chevillée au corps, et les voilà qui, soudain, ressuscitent là-bas sous la forme de ces livres populaires que l’imprimerie néerlandaise fabrique et répand par milliers. C’est le XVIe siècle qui est l’époque de cette seconde popularité, et ces méchants petits livres, copiés sur nos pauvres romans en prose, ont l’heur de circuler entre toutes les mains, joie des paysans aussi bien que des bourgeois. Cette heureuse fortune n’était pas faite pour durer. L’autorité ecclésiastique veillait : elle trouva que ces romans étaient inquiétants pour la morale publique, et mit le holà sur Maugis, Huon de Bordeaux et plusieurs autres encore. Pour le coup, ce fut leur mort.

Il faut s’attendre en Espagne à des péripéties analogues, mais non pas semblables. L’Espagne est un peuple fier et jaloux, et qui souffle volontiers sur toutes les gloires qui ne sont pas espagnoles. Elle avait été forcée de subir nos chansons qu’une foule de juglares chantaient à pleine voix sur tous les chemins, dans toutes les villes, et surtout au grand pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle. Mais, quelque vive et militaire que fût la beauté de ces chansons, les cantares de gesta avaient le malheur d’y