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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/285

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de Caxton livrent au public anglais, le 18 juin 1485, sous le titre fallacieux de Lyf of Charles the great. Cette prétendue « Histoire de Charlemagne » n’est autre que la traduction d’un de nos plus détestables romans en prose, la Conqueste du grant roy Charlemagne des Espaignes, et cette Conqueste n’est même qu’un arrangement du Fierabras. On ne se console vraiment d’un tel mécompte qu’en assistant à une représentation du Songe d’une nuit d’été et en y applaudissant le charmant petit nain Oberon que l’Angleterre a si visiblement emprunté à notre Huon de Bordeaux.

Chez les Scandinaves la scène change. Notre épopée joue là-bas un rôle qui est à la fois plus étendu et plus profond, et la question de notre épopée y est intimement mêlée à la question religieuse. Il ne s’agissait de rien moins, au commencement du XIIIe siècle, que de convertir ces peuples païens à la foi catholique. C’est à quoi s’employa le roi Haquin V, qui régna en Norwège de 1217 à 1263 et qui se servit de nos chansons comme d’un excellent instrument de propagande. S’étant convaincu qu’elles étaient solidement chrétiennes et tout ardentes du feu de la croisade, il les fit traduire ou imiter en sa propre langue, et de là toutes ces Sagas d’origine française parmi lesquelles la Karlamagnus-saga tient certainement la première place. On trouve dans cette étonnante compilation les données exactes et l’heureuse adaptation d’une dizaine de nos chansons, telles que le Couronnement de Charles (poème perdu), Doon de la Roche, Ogier, Aspremont, Guiteclin, Otinel, Roncevaux et le Moniage Guillaume. Le succès en fut considérable, et la Karlamagnus-saga fut traduite en suédois et en danois. Cette dernière traduction, qui est du XVe siècle, devint sur-le-champ populaire, et l’est encore aujourd’hui. On vend à Copenhague, dans le moment même où nous écrivons ces lignes, de petites brochures à bon marché qui ne sont que la reproduction populaire de la Keyser Karl Magnus Kronike. Je pense qu’on les trouverait jusque dans les plus humbles boutiques de Reikiavik en Islande.

En Néerlande, même popularité, mais d’une autre physionomie, s’il est permis de s’exprimer ainsi, et avec de singulières alternatives de bonne et de mauvaise fortune. Les « Thiois » (c’est le nom qu’aiment à leur conserver les érudits modernes) ont pris