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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/288

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ces Lombards, ces Trévisans, ces Vénitiens se sont piqués d’honneur et ont composé eux-mêmes des chansons « en une langue qui a le français pour base, mais qui est fortement influencée par le vénitien et par le lombard ». Ces poèmes, qu’on a appelés « franco-italiens » à défaut d’un meilleur nom, sont français par leurs fictions, français par leurs personnages, et il semble en vérité que la poésie italienne ne pouvait alors trouver de héros que chez nous. Mais une race aussi poétique ne pouvait s’en tenir longtemps à ce genre bâtard : elle voulut mieux. Passe encore pour les héros français : mais elle entendit les célébrer enfin dans sa propre langue qui était si vibrante et si belle. Prose ou vers, tout lui fut bon. Un compilateur médiocre, mais infatigable, Andréa da Barberino, eut le courage, vers la fin du XIVe siècle, de vulgariser sous ce titre heureux, les Royaux de France, Reali di Francia, les poèmes français, ou plutôt franco-italiens, qui avaient pour objet la maison de France et les héros épiques que l’on y pouvait rattacher avec une liberté plus ou moins ingénieuse et large. Parmi les six livres des Reali, les trois premiers sont visiblement empruntés à un Fioravante que Pio Rajna a découvert et qui est de la première partie du XIVe siècle. Les deux livres suivants ont pour héros ce Beuves d’Hanstonne dont les aventures ont eu une si étrange fortune en France et en Italie, et le dernier livre, qui est assurément le plus précieux, est consacré à la triste histoire de Berte, aux enfances de Charlemagne, à celles de Roland. Singulière compilation, comme on le voit, et qui ressemble à une architecture inachevée. Le complément tout naturel de cette œuvre étrange ubi cætera desiderantur, ce complément était tout indiqué, et c’était, ce ne pouvait être que cette fameuse guerre d’Espagne dont Roncevaux est l’épisode le plus profondément épique. Un poète italien se met à l’œuvre vers 1380 et nous donne la Spagna in rima ; un autre poète l’abrège et la contrefait, et voilà la Rotta di Roncisvalle. Puis, un compilateur inconnu écrit cette Spagna en une prose qui ne saurait être antérieure à la fin du XIVe siècle, tandis qu’un de ses confrères lui fait une concurrence loyale en alignant les chapitres de ce Viaggio di Carlomagno in Ispagna dont les données sont empruntées, comme celles des Spagna, à des poèmes franco-