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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/289

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italiens et à des légendes françaises. Cependant il ne faudrait pas croire que l’auteur des Reali eût dit son dernier mot avec les six livres de cette compilation énorme qu’il a fait suivre d’un Aspromonte dont la base est notre Chanson d’Aspremont. Ce vaillant ne savait pas se reposer, et il entreprend un jour, dans ses Nerbonesi, de traduire en sa prose incolore et flasque les plus belles chansons de notre geste de Guillaume. Il ne reste plus qu’à signaler, avec Rajna, le rôle énorme que joue notre Ogier dans la littérature italienne. Il est le personnage principal d’un très long poème en octaves de la fin du XVe siècle et occupe encore une large place dans ces Storie di Rinaldo, de la même époque, où l’on ne s’attendait guère à trouver que les aventures des quatre fils Aimon. Après tant d’œuvres si variées et si étendues, il était permis de craindre que l’Italie n’eût décidément épuisé la gloire des héros français. Il n’en était rien et, au moment même où l’on pouvait croire à leur inévitable déclin et à leur mort prochaine, ils furent tout à coup ressuscités par ces grands poètes qui s’appellent Pulci, Bojardo, l’Arioste. Il est vrai que ces merveilleux écrivains n’ont à peu près gardé de nos héros que les noms ; il est encore vrai que ces vieux chevaliers de France sont ici empanachés à l’excès et travestis à l’italienne. On les a dépouillés de leur rudesse antique, on les a « civilisés » plus que de raison ; on les a transformés en chevaliers de je ne sais quelle Table Ronde ferraraise ou florentine, fort élégante, un peu corrompue, et telle enfin que la pouvait rêver les cours italiennes de la Renaissance. Tout cela est vrai, et il n’est pas moins certain que l’Arioste, entre autres, a dépensé, dans cette résurrection inattendue de nos vieilles chansons, une puissance de conception et une magnificence de coloris dont nos vieux poèmes ne sauraient donner une idée. Mais enfin et malgré tout, c’est à nos chansons que cet Arioste si justement vanté doit sa première inspiration. Il a beau défigurer Roland : Roland est et demeure français, et l’Orlando furioso n’est que l’écho de l’épopée française du XIe siècle. Écho superbe, mais écho.

Cette longue excursion en Italie n’a pas mis un terme aux voyages de notre épopée. On l’a également rencontrée en Grèce, en Russie, en Hongrie, et elle a fait de belles haltes chez ces peuples de races si diverses et de tempéraments si opposés. Elle