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PRÉFACE

On l’accuse de manquer de beauté, ou plutôt on l’accuse de ne pas exister au sens où nous l’entendons aujourd’hui, et l’accusation est en grande partie méritée. Ce style, ou si l’on veut cette absence de style, rebute dans la prose et encore plus dans les vers de beaucoup de nos vieux écrivains : ils n’ont pas étudié les secrets rapports des mots et des images qu’ils évoquent ; ils emploient au hasard ceux qui se présentent, ou s’ils recherchent tels termes ou telles alliances de termes, c’est pour des motifs enfantins de consonance ou de jeu de mots. Les disparates de tons ne les choquent pas, la platitude et la trivialité ne les offusquent pas, la banalité leur est familière, et surtout ils se complaisent presque tous dans une prolixité qui ne révèle que trop la facilité irréfléchie avec laquelle ils produisent. Le choix et la propriété de l’expression, l’art de renouveler l’énergie ou le charme d’un mot par l’emploi qu’on en fait ou la façon dont on l’encadre, la recherche des nuances, le souci de mettre dans la parole toute la pensée et de n’y rien mettre de plus, la littérature française les apprit, comme la composition, non du premier coup ni sans peine, en étudiant l’art antique et aussi l’art italien, et c’est l’absence presque complète de ces qualités chez la plupart de nos vieux auteurs qui aurait empêché notre époque classique, si elle les avait connus, de leur rendre justice, comme elle empêche encore de le faire beaucoup de critiques contemporains, et, naturellement, de ceux qui sont le plus fidèles à la tradition classique.

Mais si le sentiment réfléchi de la beauté du style manque presque toujours à nos pères, on retrouve jusque dans la forme de leurs écrits plus d’un des traits qui caractérisent encore notre littérature en face de celle des autres peuples. Et d’abord ils sont clairs, ou du moins ils ont toujours l’intention de l’être : si leur syntaxe, développée en liberté et