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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/29

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PRÉFACE

gées en tête et en queue pour les besoins de ceux qui en exploitaient le débit comme gagne-pain. Quelquefois nous pouvons éliminer ces appendices au moins en partie comme dans la Chanson de Roland, où tout un poème postérieur, Baligant, a été inséré avant la rédaction de nos plus anciens manuscrits, mais où d’autres additions se laissent soupçonner sans qu’on puisse les séparer nettement. En tenant compte de ce fâcheux état de choses, nous constatons que les plus belles des œuvres de notre ancienne poésie, si elles n’ont pas été composées avec la réflexion et l’art sévère qui président à la construction des tragédies de Racine, n’en ont pas moins en commun avec elles la profonde unité d’inspiration, la subordination du détail particulier à l’idée générale, la présence constante de cette idée à travers toutes les péripéties de l’action. Cette action, dans la Chanson de Roland, est d’ailleurs, une, simple, logique, du commencement à la fin (sauf les retouches), et les épisodes eux-mêmes ont dû pécher plutôt, dans l’œuvre telle qu’elle était primitivement, par excès de symétrie que par manque de cohésion. On pourrait en dire autant de plus d’un autre poème, si on s’attachait à l’idée plus qu’à l’exécution et surtout qu’à la forme qui nous est seule parvenue, dernier aboutissement, parfois, de bien des remaniements successifs. Mais, malgré ces réserves, le fait général n’est pas niable. Il tient en grande partie à ce que nos anciens poètes étaient esclaves de la « matière » qu’ils suivaient et qui souvent ne leur parvenait qu’altérée et déjà incohérente. Il tient surtout au peu de méditation qu’ils apportaient à leurs ouvrages, et à l’ignorance où ils étaient, ainsi que le public auquel ils s’adressaient, des conditions de leur art. Le défaut que l’on constate ici chez eux s’explique comme le reproche qu’on a toujours, et non sans raison, adressé à leur style.