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ROMANS ÉPIQUES

volume, intitulé le premier livre d’Orose, est occupé aux trois quarts par une rédaction en prose de Thèbes[1] et renferme aussi une version en prose du Roman de Troie. L’auteur a fortement délayé la rédaction en prose de Thèbes (le procédé contraire est fort rare) et l’a agrémentée de discours et de réflexions morales, dans le double but de plaire à ses auditeurs et de les édifier, tout en restant fidèle à l’idée qui domine l’œuvre entière d’Orose[2]. Mais, tout en traitant très librement sa source, il n’y ajoute pas d’éléments importants. Il convient cependant de signaler quelques embellissements curieux. On lit dans le combat des cinquante : « Et avecques buches en maniére d’eschelles, qu’ils dressoient amont la montaigne, ymaginérent de l’assaillir et y monter » ; et il y a un chapitre intitulé : La teneur des mandements que envoya le roy Ethiocles aux seigneurs de son pays : « Nous, Ethiocles, par la grace des dieux roy de Thèbes, a tous noz bons feals amis et serviteurs, seigneurs, barons, chevaliers et autres gentilz hommes de nostre dit royaume, salut. Savoir faisons, etc. » Mais, en somme, l’impression que laisse l’œuvre lorsqu’on la lit tout d’un trait est celle d’un bavardage assez insipide, dont l’auteur écrivait d’ailleurs clairement et avec une certaine facilité.

Il existe au moins trois manuscrits d’une traduction italienne de la première rédaction en prose dont il a été parlé. Le vieux poète anglais Chaucer, qui fait de si nombreuses allusions à la légende thébaine, connaissait certainement Stace, à qui il se réfère souvent, mais il connaissait aussi, sinon le poème, du moins une ou plusieurs de nos rédactions en prose. On peut surtout l’affirmer de son brillant disciple John Lydgate, abbé de Bury en Suffolk, dont la Story of Thebes nous est présentée comme un nouveau conte de Canterbury ayant servi, dans un jour de misère, à payer son écot à l’auberge des pèlerins de Chaucer[3] et qui nous semble avoir eu sous les yeux, en l’écri-

  1. Le titre de Livre d’Orose (dans le ms. B. N. fr. 15 455, Premier volume des Histoires de Paul Orose, traduit en français) est usurpé à tort par plusieurs manuscrits qui contiennent la première rédaction.
  2. Souvent il prend lui-même la parole et fait ses réflexions sous la rubrique : Le translateur ; mais il ne craint pas, à l’occasion, de se référer expressément à l’écrivain latin, qui n’en peut mais.
  3. Lydgate composa ce poème entre 1421 et 1422. Il venait de terminer son Siège de Troie (Troy Book), d’après Guido delle Colonne.