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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/341

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ROMANS ÉPIQUES

Jason, et Benoit ne les nomme pas non plus, ce qui semble prouver que le texte latin du Darès développé contenait déjà cette indication, et par conséquent a dû être écrit à une époque voisine de la publication du poème de Valerius Flaccus[1].

Pour ce qui est des amours de Troïlus et de Briseïda, il faut reconnaître que la mise en œuvre du sujet appartient à Benoit : ici, comme dans le récit des amours d’Achille et de Polyxène, on retrouve le talent d’observation, la connaissance du cœur humain qu’on ne saurait sans injustice refuser à l’auteur du Roman de Troie. Mais ce sujet, l’a-t-il inventé de toutes pièces ? C’est peu probable. On ne s’explique guère ce portrait de Briseïda (nom tout grec, remarquons-le)[2], terminant la liste des portraits des héros grecs, si elle ne figurait pas primitivement dans l’action à un titre quelconque, et l’épithète d’affabilis qu’on y trouve est peut-être une indication du rôle qu’elle jouait dans le Darès développé : les mots pulcherrimum, pro ætate valentem, appliqués à Troïlus dans son portrait, sont aussi d’accord avec les données de l’épisode. Il ne faut pas d’ailleurs s’étonner si l’abréviateur, qui a mentionné (ch. XXXI) la rencontre où Diomède est blessé par Troïlus, laisse de côté l’allusion ironique que fait celui-ci à la légèreté de Briseïda : du moment qu’il supprimait l’épisode comme non indispensable à la marche générale de l’action, il devait également supprimer ce détail. Plus intelligent, il aurait sans doute résumé en quelques mots cette curieuse aventure, ou bien fait disparaître le portrait : mais cette maladresse du méchant auteur du résumé est une preuve de plus de l’existence d’un Darès plus étendu que Benoit avait à sa disposition.

Il en est de même des autres épisodes. L’entrevue d’Achille

  1. Il n’est pas nécessaire d’admettre, étant donné que Valerius Flaccus est très différent et ne saurait être ici la source (non plus d’ailleurs qu’Ovide, Métam., VII, init.), l’existence d’un poème spécial, comme le veut M. Kœrting (loc. laud., 74) ; cependant il faut reconnaître qu’il a dû exister de bonne heure de ces romans mythologiques en prose, écrits les uns en grec, les autres en latin, et que c’est dans ces derniers qu’il faut voir la source de cette Histoire ancienne dont nous avons parlé plus haut (p. 185). Un fragment de la légende d’Atalante et d’Hippomène publié par nous (Revue des langues romanes, XXXIV, 600), et qui semble remonter au xiiie siècle, vient à l’appui de notre opinion.
  2. L’accusatif de Βρισηΐς est devenu le nominatif du latin ; mais il y a certainement là un souvenir de la captive d’Achille, dont le rôle, si important dans l’Iliade, a été usurpé ici, comme dans les traditions posthomériques, par la fille de Priam, la belle Polyxène.