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ROMANS ÉPIQUES

lapidation de Palamède, mais le reste est évidemment un fruit de l’imagination grecque dans les bas temps. Il ne serait peut-être pas trop hardi de supposer que Benoit a trouvé les deux légendes déjà réunies dans le Dictys latin qu’il connaissait : il y aurait là, par conséquent, une nouvelle preuve de l’existence d’une rédaction plus étendue que celle que nous possédons.

En dehors des deux sources principales de Benoit, il convient d’en signaler une autre. Sa géographie (digression à propos des Amazones) a une source sûrement latine, comme le montrent un certain nombre de noms propres qu’il s’est contenté de transcrire : c’est Æthicus, dont nous avons une courte description du monde, laquelle prétend s’appuyer sur les résultats de l’immense opération commencée par Jules César et terminée par Auguste. Il reste également de cet ouvrage un résumé sous le nom de Julius Honorius Orator[1], ce qui prouve (comme aussi l’existence de l’abrégé de Julius Valerius à côté de la traduction latine du Pseudo-Callisthène, dont les manuscrits sont bien plus rares) que le moyen âge a souvent usé et même abusé du procédé de l’abréviation, ce qui a amené la perte de beaucoup de grands ouvrages classiques, en particulier d’une grande partie de l’histoire de Tite-Live.

Les détails sur les mœurs des Amazones pourraient être, à la rigueur, empruntés à Orose. Cependant il y a une différence notable, qui fait croire à une autre source (Benoit l’appelle « li traitié, li grant livre historial ») : les enfants mâles sont remis à leurs pères à leur naissance, tandis que, d’après Orose, ils sont mis à mort. Cette source, vaguement indiquée par Benoit, pourrait bien être le Darès développé. Nous avons déjà vu (p. 209 et n. 1) qu’il faut conclure de même pour l’expédition des Argonautes.

Il y a lieu de se demander pourquoi Benoit a préféré Darès à Dictys pour toute la partie qu’ils ont en commun. Assurément Benoit, qui, comme tout le moyen âge, était naturellement favorable aux Troyens, les ancêtres reconnus des Français et des autres peuples de l’ouest et même du centre de l’Europe,

  1. C’est à tort que Dunger (loc. laud., p. 36) a pris cet abrégé pour la source de Benoit, car il ne contient pas l’introduction, d’après laquelle César est cité comme ayant ordonné ce grand travail. Il n’est d’ailleurs pas vrai que Benoit, comme le disent Dunger et Jæckel, nomme César comme sa source écrite.