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L’ÉPOPÉE ANTIQUE

à propos de la mort de Troïlus, ceux des Grecs encore plus loin, en partie après la mort d’Achille, en partie après la construction du cheval de bois. Il croit, en conséquence, que les portraits étaient placés, dans le Dictys perdu, dans l’un des quatre livres resserrés en un par Septimius ; et pour ce qui concerne Tzetzès (et peut-être Isaac), il est porté à croire qu’ils n’ont connu Dictys que par l’intermédiaire de Malala, et il émet cette ingénieuse hypothèse qu’ils ont pu lire les portraits dans un extrait (χαρακτηριςματα ?), qui aurait seul survécu de leur temps à cause de l’intérêt qu’il présentait, l’ouvrage entier ayant disparu dans le courant du xie siècle.

Quoi qu’il en soit, il y a lieu de se demander si Benoit n’a pas connu un Dictys latin plus développé sur certains points que le nôtre. La question se pose surtout pour le récit si détaillé de la mort de Palamède, traîtreusement assassiné par Ulysse et Diomède (v. 27 561-745), où Benoit réunit de façon bizarre le récit de Dictys à la tradition commune brièvement racontée par Ovide, sans remarquer d’ailleurs qu’il avait déjà fait mourir Palamède, d’après Darès, sous les coups de Paris (v. 18 814 et suiv.)[1], pendant qu’il exerçait le commandement suprême[2].

La légende la plus répandue était celle d’après laquelle Palamède, accusé, à l’aide d’une fausse lettre écrite par Ulysse, de connivence avec les Troyens, aurait été lapidé par les Grecs. Benoit aurait pu en connaître le fond par Ovide ou par Hygin, mais non certains détails qui se retrouvent chez les chroniqueurs byzantins, ce qui ne peut être le fait du hasard. Benoit suppose que la sentence des chefs qui condamnait Palamède à mort ne put être exécutée à cause de la résistance de ses amis, et qu’Ulysse réussit ensuite à capter sa confiance au point de le faire tomber dans le piège grossier qu’il lui tendit de concert avec Diomède. On lui persuada de descendre dans un puits pour y chercher un trésor merveilleux, puis on l’y assomma à coups de pierre. Il y a dans cette seconde version, empruntée par Benoit à Dictys et soudée par lui à la première, un trait traditionnel, la

  1. Il est vrai qu’il dit simplement qu’on avait ainsi raconté la chose à son père, mais il n’y contredit pas : il y a donc là une véritable distraction.
  2. Une troisième version, qui, d’après Pausanias (X, 31), se trouvait dans les Κὑπρία, voulait que Palamède, se trouvant à la pêche sur le rivage de la mer, eût été noyé par Ulysse et Diomède.