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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/379

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CONTES MYTHOLOGIQUES

Les hommes du moyen âge, dont le christianisme était plus soumis qu’intelligent, semblent ne pas avoir remarqué combien les œuvres du poète brillant et léger de la cour d’Auguste étaient en désaccord avec la religion et la morale qu’ils professaient. Pour les récits mythologiques, l’allégorie leur vint en aide, et lorsqu’ils eurent substitué les diables et les fées aux divinités païennes, ou qu’ils les eurent expliquées à l’aide d’un évhémérisme plus ou moins naïf, leur conscience fut en repos, et ils s’abandonnèrent sans remords au plaisir de lire et de rendre accessibles au public ignorant du latin les beaux contes dont ils étaient si friands. Quant aux préceptes amoureux, ils plaisaient par leur forme didactique même, et les clercs, qui se vantaient d’être plus experts que les chevaliers aux choses de l’amour, s’empressèrent, dès que, par suite de l’adoucissement des mœurs, les rapports entre les deux sexes devinrent plus fréquents et plus libres, de s’attirer les bonnes grâces des femmes en mettant à leur portée les fruits des expériences amoureuses de la jeunesse d’Ovide, non sans en modifier profondément l’exposition, qu’ils accommodèrent, souvent avec succès, à la civilisation et aux mœurs du xiie siècle[1].

1. Chrétien de Troyes : Philomena[2]. — Chrétien nous apprend lui-même qu’avant Cligès il avait composé « le mors de l’espaule » et « la muance de la hupe, du rossignol et de l’aronde ». Le premier poème, qui était peut-être l’histoire de Pélops[3], est perdu ; le second a été récemment retrouvé par M. G. Paris dans la traduction moralisée des Métamorphoses, de Chrétien Legouais de Sainte-More, dont il sera question plus loin.

Le petit poème de Chrétien de Troyes, qui n’est guère qu’une traduction libre avec addition de descriptions et de réflexions morales, est intéressant, comme les autres productions imitées de l’antiquité que nous avons déjà examinées, par l’effort que fait l’auteur pour adapter aux conditions du temps et du milieu les données du modèle. « Son récit est d’ailleurs bien mené, et, sauf quelques-unes de ces formules banales que si peu de nos

  1. Voir G. Paris, Chrétien Legouais, etc., p. 1-5 du tirage à part de l’Hist. littér., t. XXIX, p. 455 et suiv., article très important, qui forme la base de notre chapitre.
  2. C’est la forme qu’a prise ordinairement le mot Philomela au moyen âge.
  3. Ce n’est pas tout à fait sûr, car Ovide ne traite cette légende qu’en passant, et M. G. Paris se demande s’il ne s’agirait pas d’un conte étranger à l’antiquité.