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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/38

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plus grands du XVIIe siècle, c’est Charles du Fresne, sieur du Cange. Son Glossarium mediæ et infimæ latinitatis est un monument gigantesque, qui figure dans l’histoire de la science à côté du Thesaurus græcus d’Henri Estienne. Non seulement les matériaux qu’il contient devaient aider puissamment à la découverte de la vérité, mais la préface même dont l’auteur l’a fait précéder indiquait déjà avec la plus grande netteté, presque avec une parfaite justesse, où était cette vérité, comment et pourquoi le latin devint le roman et prit ce nom nouveau. De ce jour la vraie solution du problème était donnée, et appuyée de sérieuses raisons et de faits solides.

Néanmoins au XVIIIe siècle un courant bien différent emporta les imaginations. Le cistercien Pezron, reprenant une théorie déjà hasardée au XVIe par Jean le Fevre, Picard, et d’autres[1], fonda l’école du bas-breton universel. Soutenue par Bullet, malgré les dissertations de dom Rivet et les moqueries de Voltaire, elle rallia une foule de partisans[2] ; et presque au seuil de ce siècle la « celtomanie » trouvait encore un glorieux défenseur dans Latour d’Auvergne, qui, quelques années seulement avant de prendre le commandement de la colonne infernale et de devenir le « premier grenadier de la République », employait à soutenir l’hypothèse celtique son talent original et ses vastes connaissances linguistiques[3].

Identité du français et du latin. — Aujourd’hui justice est faite de ces erreurs, quoique quelques obstinés tiennent encore pour elles. La linguistique moderne, fondée sur la méthode comparative et historique, que Lacurne de Sainte-Palaye préconisait déjà au XVIIIe siècle, et devenue enfin, sur-

  1. De Prisca Celtopædia, libri V. 1557. La doctrine de Picard est que les Grecs doivent leur civilisation aux Gaulois !
  2. Voir Pezron, Antiquité de la nation et de la langue des Celtes, Paris, 1703. Bullet, Mémoires sur la langue celtique, Paris, 1754-1770, 3 vol. in-fo. On a réimprimé les dissertations les plus importantes publiées au XVIIIe siècle sur ces matières dans la Collection des meilleures notices et traités particuliers relatifs à l’histoire de France, Paris, 1826, t. XIV. Ces dissertations contiennent et discutent déjà tous ou à peu près tous les textes qu’on a recueillis dans les auteurs de l’antiquité, et qu’on cite aujourd’hui. Avouons du reste qu’on les trouve déjà chez Brerewood (Recherches curieuses sur la diversité des langues et des religions, trad. par T. de la Montagne, Saumur, 1692), chez Fauchet, en un mot, que depuis l’origine des recherches, on a fort peu ajouté aux premières découverte, sous ce rapport.
  3. Nouvelles recherches sur la langue, l’origine et les antiquités des Bretons. Bayonne, 1792.