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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/381

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CONTES MYTHOLOGIQUES

Renier) ; mais sa source doit être Ovide, car il donne comme lui l’invocation suprême de Thisbé[1] et la métamorphose des fruits du mûrier, qui de blancs deviennent rouges.

3. Narcissus. — Le joli conte de Narcissus, également emprunté à Ovide (Métam., III, 339 et suiv.), était déjà connu de l’auteur du Roman de Troie (voir 17 659 et suiv.) et de Chrétien, qui y fait allusion dans son Cligès, sinon sous sa forme actuelle[2] (car la rédaction que nous en avons ne semble pas antérieure au commencement du xiiie siècle), du moins sous une forme un peu plus ancienne. Dane (Daphné), une fille de roi, y remplace la nymphe Écho, et l’analyse des sentiments variés qu’elle éprouve, ses hésitations et les efforts qu’elle fait pour résister à la toute-puissance de l’amour sont vraiment intéressants. Narcisse, un damoiseau uniquement épris de la chasse, après avoir durement repoussé les avances naïves de la jeune fille, se repent en voyant comment il en a été puni. Dane le retrouve expirant au bord de la fontaine, lui pardonne et meurt avec lui.

Il a dû exister une autre rédaction, différant de la précédente surtout en ceci que Narcisse se noyait dans la fontaine en cherchant à y saisir son image. Cela résulte d’une nouvelle italienne du recueil des Cento novelle antiche, et des allusions de Flamenca, de Bertran de Paris (de Rouergue)[3] et de Bernard de Ventadour. La pièce de ce dernier troubadour (Quant vei la lauzeta mover) semble avoir été composée au plus tard en 1153, ce qui indiquerait que cette rédaction est bien plus ancienne que l’autre, ou du moins que le texte qui nous en est parvenu. D’autre part, Pierre le Chantre († 1197), dans son Verbum abbreviatum, compare les prêtres qui, ne voyant personne arriver à l’offrande, recommencent successivement deux et trois fois la messe, aux jongleurs qui « videntes cantilenam de Landrico non placere auditoribus, statim incipiunt de Narcisso cantare, quod si non placuerit can-

  1. Seulement, il semble avoir mal compris son texte, et c’est directement au mûrier que Thisbé s’adresse pour le supplier de compatir à leur malheur en donnant une couleur sombre à ses fruits. La médiocre traduction d’Ovide insérée par le Lorrain Malkaraume, au commencement du xive siècle, dans sa traduction de la Bible est muette sur la métamorphose des fruits du mûrier. Voir J. Bonnard, Une traduction de Pirame et Thisbé (Lausanne, 1892). et le compte rendu de cet opuscule dans le Moyen âge de 1893.
  2. Voir ci-après ce qui est dit d’une autre rédaction.
  3. Voir P. Meyer, Romania, VII, 456.