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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/382

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L’ÉPOPÉE ANTIQUE

tant de alio ». Ce témoignage peut se rapporter aussi bien à la rédaction dont nous avons parlé d’abord, à condition d’admettre que le texte actuel est remanié. Ajoutons que dans l’épisode des Amazones du Roman d’Alexandre (voir ci-dessus, p. 234), Flore et Beauté chantent le lai de Narcissus : il s’agit probablement d’une rédaction antérieure au lai du xiiie siècle, quoiqu’il ne soit pas certain que cet épisode appartienne à Lambert le Tort et ne soit pas une interpolation postérieure[1].

4. Orphée. — Outre les récits classiques de Virgile (Géorg., IV, 445 et suiv.), et d’Ovide (Métam., X et XI), le moyen âge connaissait, soit dans le texte latin, soit dans une de ses traductions[2], le chapitre que Boèce consacre à cette légende dans son De consolatione Philosophiæ (III, 12), pour montrer que l’âme qui veut se donner à Dieu doit renoncer au monde sans jeter un regard en arrière. C’est à Boèce que remonte, au moins en partie, le récit des malheurs d’Orphée que Guillaume de Machaut a inséré dans son livre du Confort d’ami, et dont le début a été imprimé par M. Zielke d’après un ms. de Berne[3]. Dans une traduction de la Consolation, écrite en français au xive siècle par un Italien[4], on trouve une véritable caricature du conte traditionnel[5].

Outre ces imitations plus ou moins directes des textes antiques[6], il a existé un lai d’Orphée : nous en avons deux témoignages formels dans un passage du Lai de l’Espine de Marie de France (v. 185 et suiv.) et dans un autre de Floire et Blancheflor (éd. du Méril, p. 231). Une preuve plus directe subsiste dans un

  1. Le récit du Roman de la Rose (vers 1447-1518, éd. Fr. Michel) est essentiellement basé sur Ovide : cependant Écho est devenue une « haute dame ».
  2. Un fragment de l’une d’elles a été pris à tort pour un poème sur Orphée, erreur reconnue depuis par celui-là même qui l’avait commise. (Voir G. Paris, loc. laud., p. 49).
  3. Sir Orfeo, ein englisches Feenmærchen aus dem Mittelalter, herausgegeben von Dr Oscar Zielke (Breslau, 1880). Cf. G. Paris, loc. laud., p. 49.
  4. Cf. Graf, Roma, etc., II, p. 309, et L. Moland, Orig. littér. de la France, p. 269 et suiv. Dans le Roman des Sept Sages (v. 27 et suiv., 9), c’est à la femme d’Alpheus, et non à lui-même, qu’Apollon défend de se retourner.
  5. Olfeus, une nuit qu’il se lamentait sur la tombe de sa femme, voit apparaître un diable et lui demande de permettre qu’il aille avec lui en Enfer pour revoir Eurydice. Il consent, et les diables, qui font des gorges chaudes à la vue de sa douleur, délibèrent de lui jouer un mauvais tour. Ils lui permettent d’emmener sa femme sous la condition connue : mais Olfeus ne peut s’empêcher de se retourner en entendant derrière lui un bruit aussi épouvantable qu’incongru fait par un des diables, et il perd à jamais son épouse.
  6. Il y a des allusions à l’histoire traditionnelle d’Orphée dans Flamenca, dans le Roman de la Rose, dans Guillaume de Machaut, et ailleurs.