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L’ÉPOPÉE ANTIQUE

âge est certainement la traduction avec commentaires du franciscain Chrétien Legouais de Sainte-Maure, près de Troyes, qui n’a pas moins de 72 000 vers, et qui remonte au commencement du xive siècle ou peut-être à la fin du xiiie siècle. Chrétien écrivait, en effet, sur l’ordre de Jeanne de Champagne-Navarre, femme de Philippe IV, morte en 1305.

Un siècle avant, en 1210, un poète allemand, Albrech de Halberstadt, avait versifié les Métamorphoses ; mais ce n’était qu’une simple traduction. Cependant, dès le ve siècle, Fulgence avait moralisé, et parfois christianisé Virgile, et les Integumenta Ovidii, en 249 distiques, qui sont peut-être l’œuvre de Jean Scott Erigène (ixe siècle), avaient donné d’Ovide une interprétation surtout philosophique, à laquelle Legouais a emprunté quelques-uns de ses commentaires les plus bizarres. Le savant dominicain Pierre Berçuire composa à son tour en latin, à Avignon, de 1337 à 1340, un commentaire allégorique qui formait le xve siècle livre de son Reductorium, et qu’on a imprimé au xvie siècle sous le nom du frère prêcheur Thomas Waleys (ou de Galles), puis attribué à tort, d’après un manuscrit, à l’illustre évêque de Meaux, Philippe de Vitry. Berçuire, qui ne connaissait pas d’abord l’œuvre de Legouais[1], remania son livre en 1342 à l’aide d’un exemplaire de l’Ovide moralisé que lui avait prêté Philippe, d’où l’erreur[2].

Legouais traduit d’abord, le plus souvent en abrégeant quelque peu, rarement en développant ; puis il donne de la fable une explication, ou plusieurs explications différentes, parfois même contradictoires. Ces explications sont ou scientifiques, ou historiques : mais elles sont généralement suivies d’une explication morale ou même religieuse, de l’indication d’une « sentence prouffitable » qu’on peut tirer du récit[3].

  1. Les ressemblances sont ou fortuites ou (plus souvent) dues à une communauté de source. Voir L. Sudre, P. Ovidii Nasonis Metamorphoseon, etc., p. 114.
  2. Voir Hauréau, Mémoires de l’Académie des inscriptions, t. XXX, 2e partie, p. 45 et suiv., et G. Paris, Chrétien Legouais, etc., p. 51 et suiv.
  3. Voici un exemple : « L’histoire d’Arachné nous enseigne à ne pas essayer de lutter contre plus puissant que nous ; si l’on veut, Pallas est la sagesse divine et Arachné l’outrecuidance humaine, qui tisse une toile dont les fils sont tous les péchés, tandis que la sagesse divine est armée de toutes les vertus. » Autre exemple, plus compliqué : « Dane (Daphné), fille d’un fleuve, c’est-à-dire douée d’un tempérament froid, représente la virginité ; elle finit par être changée en arbre, parce que la parfaite pureté ne connaît plus aucun mouvement charnel, et cet arbre est un laurier, qui, comme la virginité elle-même, verdoie toujours et ne porte pas de fruit… Dane représente la vierge Marie,