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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/396

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l’un comme pour l’autre. Avant de faire connaître ce qui nous reste du Tristan de Béroul, nous donnerons d’après les imitations étrangères, un résumé rapide des premières aventures du héros.

Tristan est le neveu du roi Marc de Cornouaille, qui l’a élevé avec les plus grands soins après la mort prématurée de ses parents. Chaque année le frère de la reine d’Irlande, oncle de la blonde Iseut, le « Morhout » venait en Cornouaille réclamer un tribut de jeunes garçons et de jeunes filles comme le Minotaure des Grecs. Tristan livre bataille au Morhout et le blesse mortellement : un morceau de l’épée du vainqueur était resté dans la plaie. Tristan avait été blessé lui-même par l’épée empoisonnée du Morhout et ne pouvait être guéri que par la reine d’Irlande. Il se rend près d’elle sous un déguisement, se fait guérir et revient en Cornouaille.

Plus tard, il retourne en Irlande demander la main de la blonde Iseut pour son oncle. Il l’obtient après une aventure, à la suite de laquelle il est guéri par Iseut d’une autre blessure, et il part avec elle.

Pendant le voyage ils boivent par erreur un philtre d’amour, que la mère d’Iseut avait préparé et que celle-ci devait partager avec le roi Marc le jour du mariage, et ils se trouvent liés l’un à l’autre par une passion sans mesure.

Iseut ayant lieu de craindre que le roi ne s’aperçoive qu’elle n’est plus la pure fiancée qu’il attendait, Brangien, sa fidèle suivante, se substitue à elle la première nuit, et la sauve ainsi. Mais Iseut songe ensuite à se débarrasser de la confidente de son secret ; elle l’envoie cueillir des plantes dans la forêt, avec deux serfs qui ont l’ordre de la tuer. Ceux-ci, au moment de s’acquitter de leur cruelle mission, demandent à Brangien quel grand tort elle a pu faire à sa maîtresse. « Avant notre départ, répond-elle, la mère d’Iseut nous donna à chacune une chemise d’une blancheur immaculée pour notre nuit de noces. Mais le jour de son mariage, celle de la reine se trouva souillée, et je lui prêtai la mienne. Je ne l’ai point offensée autrement. Puisqu’elle veut ma mort, dites-lui que je la remercie de tout le bien qu’elle m’a fait depuis mon enfance. » Ces paroles attendrissent les serfs, qui la laissent vivre, et la reine elle-même, en les entendant rapporter, regrette sa cruauté ; elle est heureuse d’apprendre que ses ordres n’ont pas été exécutés, et Brangien reprend bientôt sa place auprès d’elle.

Tristan et Iseut se voient en secret le plus souvent qu’ils peuvent et s’ingénient à déjouer la surveillance et à détourner les soupçons du roi, entretenus par le nain bossu Frocin. Le fragment conservé du roman de Béroul commence pendant une entrevue de Tristan et d’Iseut, à laquelle assiste, caché dans les branches d’un arbre, près d’une fontaine, le roi Marc, que le nain a prévenu. Mais Iseut a aperçu « l’ombre » de son mari dans la fontaine et fait en sorte de lui donner le change : « Seigneur Tristan, dit-elle à son ami, ne me mandez plus