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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/397

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jamais, je ne viendrais plus à votre appel. Le roi s’imagine que nous nous aimons d’amour vilaine. Il en croit des barons jaloux, qui ne vous pardonne pas d’avoir l’honneur de vaincre le Morhout. Il ne voit pas que je vous aime parce que vous êtes son neveu. Une femme n’a pas son mari moins cher pour aimer aussi ses parents. » Aux paroles d’Iseut, Tristan comprend qu’on les épie, et continue la feinte : « Ah ! Iseut, dit-il, je vous ai plusieurs fois mandée, depuis que le roi m’a interdit l’accès de sa chambre. Mes ennemis ne veulent pas laisser près de lui un homme de son lignage, et me calomnient.

Je les ai vus muets et cois
Quand le Morhout fut arrivé.
N’y en eut pas un seul d’entre eux.
Qui osât ses armes vêtir.
Je vis mon oncle moult pensif,
Mieux voulait être mort que vif.
Pour son honneur je pris mes armes,
Je combattis et fus vainqueur.

« Mon cher oncle ne devrait pas croire les félons. Mais prenez ma défense près de lui. » — « Y pensez-vous ? répond Iseut. Je ne veux pas mourir encore. Si le roi savait que nous sommes ici réunis, il me condamnerait au feu. Mon corps tremble de la peur qui me prend. Je m’en vais, je ne suis restée ici que trop longtemps. »

Quand les deux amants se sont séparés, le roi descend de son arbre, persuadé que le nain l’a trompé par un faux rapport, et jurant bien qu’il le fera mettre à mort. Mais le nain, qui connaissait l’avenir par les étoiles, est averti ainsi du danger qu’il court, et se réfugie dans le pays de Galles.

Le roi fait appeler Iseut, et lui avoue qu’il a assisté du haut d’un arbre à son entrevue avec Tristan :

Quand j’ouïs Tristan rappeler
La bataille que lui fis faire,
Pitié j’en eus, peu s’en fallut
Que ne sois de l’arbre tombé.

Il rend à Tristan ses faveurs et lui donne à nouveau l’autorisation de venir librement et à son gré dans la chambre royale.

Ah, Dieu ! Qui peut amour tenir
Un an ou deux sans découvrir ?