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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/413

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Le soir des noces, les serviteurs de Tristan, en lui retirant ses vêtements, déplacent l’anneau, présent d’Iseut, qu’il portait au doigt :

Tristan regarde, voit l’anneau,
Et entre en un penser nouveau.

S’il reste fidèle à son amie Iseut, il offense gravement sa femme, et s’il se comporte comme il le doit avec Iseut aux Blanches mains, il se parjure envers l’autre. L’auteur développe longuement, trop longuement, ses hésitations. C’est son amie Iseut qui l’emporte, et Tristan invente une histoire pour expliquer à sa femme son étrange conduite.

Pendant ce temps, en Angleterre[1], la reine Iseut soupirait pour son ami Tristan :

En sa chambre est assise un jour
Et chante un triste lai d’amour :
Comment Guiron se vit surpris,
Pour l’amour de la dame occis
Que sur toute chose il aima,
Et comment le comte donna
A sa femme par ruse un jour
A manger le cœur de Guiron,
Et la douleur que la dame eut
Quand la mort de son ami sut.
La reine chante doucement,
La voix accorde à l’instrument ;
Les mains sont belles, le lai bon,
Douce la voix et bas le ton.

Tristan a fait une « image » de son amie[2], près de laquelle il se complaît. Il l’embrasse quand il croit à l’amour fidèle d’Iseut, et se courrouce contre elle quand le soupçon entre dans son esprit. Il craint que la reine, loin de lui, ne se fasse un autre ami.

Pour cela fit-il cette image
Que dire lui veut ce qu’il sent,
Son bon penser, sa folle erreur,
Sa peine, sa joië d’amour ;
Car ne sut vers qui découvrir
Ni son vouloir ni son désir.

Thomas disserte ensuite sur l’amour de Tristan, du roi Marc et des deux Iseut :

En ces quatre est étrange amour,
En eurent tous peine et douleur.

Le roi Marc souffre de ne posséder que le corps d’Iseut. Celle_ci n’est pas moins malheureuse ;

  1. Dans la version de Thomas, Marc est roi de toute l’Angleterre.
  2. Et une autre de Brangien, suivante d’Iseut. Quand il se persuade qu’Iseut l’oublie, il s’en plaint à l’image de Brangien. Cette seconde image nous gâte un peu la première.