Aller au contenu

Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/42

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

à ces lois, à moins qu’on en puisse donner une explication légitime, rend l’identification douteuse.

Un seul exemple montrera facilement comment on applique les lois phonétiques à la recherche et à l’examen d’une étymologie, ce sera celui du mot poids. Longtemps on l’a considéré comme venu de pondus, qui lui ressemble extérieurement, et qui a le même sens en latin. C’est même dans cette persuasion qu’on lui a ajouté un d, en vertu des principes de l’orthographe étymologique.

Poids ne vient cependant pas de pondus. Il est vrai que la chute de l’u final atone, et le maintien du p initial de pondus sont conformes aux règles, mais le reste de la forme ne s’explique pas. En effet, en vieux français le mot est pois, et plus anciennement encore peis. Or peis ne peut pas représenter pondus, pour deux raisons : 1o le groupe nd, suivi d’une voyelle qui tombe et d’une s, ne laisse tomber ni n ni d comme la forme peis l’exigerait. Il donne en roman français un groupe nts, écrit nz (où z a longtemps gardé la valeur qu’il a dans l’allemand zu), Ex. : grandis = granz ; vendis = venz ; rendis (= reddis) = renz ; mundus = monz etc. ; 2o l’o, tonique, devant un semblable groupe, qu’il soit ouvert ou fermé, ne peut donner ei, mais seulement un o nasal. Ex. : com(i)tein = comte ; contra = contre ; fontem = font ; montem = mont ; tondita = tonte. Voilà une deuxième règle violée. L’identification est donc inadmissible.

Au contraire, pois, peis peuvent très bien être considérés comme les prononciations postérieures du substantif pensum. En effet, nous le savons, pensum avait, dès le latin, perdu l’m finale ; il avait aussi laissé tomber n devant s. C’est là une règle générale : mensuram a donné de même mesura, mesure ; sponsum, isposo, espous (époux) ; constare, costare, coster (coûter); mansionem, masyone, maison.

Donc pensu a été réduit à pesu ou peso. L’u (= o) final y est tombé, comme il a été dit plus haut, entre le VIIe et le VIIIe siècle. Il ne reste donc à justifier que le changement de e en ei. Or tout e fermé, tonique et libre, qui s’est ainsi trouvé devant s, après la chute de la nasale, a subi le même sort. Ex. : te(n)sam = teise, toise ; me(n)sem = meis, mois ; pe(n)sat = peise, poise (pèse) ;